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LETTRES PROVINCIALES.

première : « Je voudrois que la Sorbonne, qui doit tant à la mémoire de feu M. le cardinal, voulût reconnoître la juridiction de son Académie françoise. L’auteur de la lettre seroit content ; car, en qualité d’académicien, je condamnerais d’autorité, je bannirois, je proscrirois, peu s’en faut que je ne die, j’exterminerois de tout mon pouvoir ce pouvoir prochain, qui fait tant de bruit pour rien, et sans savoir autrement ce qu’il demande. Le mal est que notre pouvoir académique est un pouvoir fort éloigné et borné. J’en suis marri ; et je le suis encore beaucoup de ce que tout mon petit pouvoir ne sauroit m’acquitter envers vous, » etc.

Et voici ce qu’une personne, que je ne vous marquerai en aucune sorte, en écrit à une dame qui lui avoit fait tenir la première de vos lettres :

« Je vous suis plus obligée que vous ne pouvez vous l’imaginer de la lettre que vous m’avez envoyée : elle est tout à fait ingénieuse, et tout à fait bien écrite. Elle narre sans narrer ; elle éclaircit les affaires du monde les plus embrouillées ; elle raille finement ; elle instruit même ceux qui ne savent pas bien les choses ; elle redouble le plaisir de ceux qui les entendent. Elle est encore une excellente apologie, et, si l’on veut, une délicate et innocente censure. Et il y a enfin tant d’art, tant d’esprit et tant de jugement en cette lettre, que je voudrois bien savoir qui l’a faite, » etc.

Vous voudriez bien aussi savoir qui est la personne qui en écrit de la sorte ; mais contentez-vous de l’honorer sans la connoître, et, quand vous la connoîtrez, vous l’honorerez bien davantage.

Continuez donc vos lettres sur ma parole, et que la censure vienne quand il lui plaira : nous sommes fort bien disposés à la recevoir. Ces mots de pouvoir prochain et de grâce suffisante, dont on nous menace, ne nous feront plus de peur. Nous avons trop appris des jésuites, des jacobins, et de M. Le Moine, en combien de façons on les tourne, et combien il y a peu de solidité en ces mots nouveaux, pour nous en mettre en peine. Cependant je serai toujours, etc.


TROISIÈME LETTRE.
Pour servir de réponse à la précédente. — Injustice, absurdité et nullité de la censure de M. Arnauld.
De Paris, ce 9 février 1656.
Monsieur,

Je viens de recevoir votre lettre, et en même temps l’on m’a apporté une copie manuscrite de la censure. Je me suis trouvé aussi bien traité dans l’une, que M. Arnauld l’est mal dans l’autre. Je crains qu’il n’y ait de l’excès des deux côtés et que nous ne soyons pas assez connus de nos juges. Je m’assure que, si nous l’étions davantage, M. Arnauld mériteroit l’approbation de la Sorbonne, et moi la censure de l’Académie. Ainsi nos intérêts sont tout contraires. Il doit se faire connoître pour défendre son innocence ; au lieu que je dois demeurer dans l’obscurité pour ne pas perdre ma réputation. De sorte que, ne pouvant paroître,