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LETTRE III.

je vous remets le soin de m’acquitter envers mes célèbres approbateurs, et je prends celui de vous informer des nouvelles de la censure. Je vous avoue, monsieur, qu’elle m’a extrêmement surpris. J’y pensois voir condamner les plus horribles hérésies du monde ; mais vous admirerez, comme moi, que tant d’éclatantes préparations se soient anéanties sur le point de produire un si grand effet.

Pour l’entendre avec plaisir, ressouvenez-vous, je vous prie, des étranges impressions qu’on nous donne depuis si longtemps des jansénistes. Rappelez dans votre mémoire les cabales, les factions, les erreurs, les schismes, les attentats qu’on leur reproche depuis si longtemps ; de quelle sorte on les a décriés et noircis dans les chaires et dans les livres ; et combien ce torrent, qui a eu tant de violence et de durée, étoit grossi dans ces dernières années, où on les accusoit ouvertement et publiquement d’être non-seulement hérétiques et schismatiques, mais apostats et infidèles : « de nier le mystère de la transsubstantiation, et de renoncer à Jésus-Christ et à l’Évangile. »

Ensuite de tant d’accusations si surprenantes[1], on a pris le dessein d’examiner leurs livres pour en faire le jugement. On a choisi la seconde lettre de M. Arnauld, qu’on disoit être remplie des plus grandes[2] erreurs. On lui donne pour examinateurs ses plus déclarés ennemis. Ils emploient toute leur étude à rechercher ce qu’ils y pourroient reprendre ; et ils en rapportent une proposition touchant la doctrine, qu’ils exposent à la censure.

Que pouvoit-on penser de tout ce procédé, sinon que cette proposition, choisie avec des circonstances si remarquables, contenoit l’essence des plus noires hérésies qui se puissent imaginer ? Cependant elle est telle, qu’on n’y voit rien qui ne soit si clairement et si formellement exprimé dans les passages des Pères que M. Arnauld a rapportés en cet endroit, que je n’ai vu personne qui en pût comprendre la différence. On s’imaginoit néanmoins qu’il y en avoit beaucoup, puisque les passages des Pères étant sans doute catholiques, il falloit que la proposition de M. Arnauld y fût extrêmement[3] contraire pour être hérétique.

C’étoit de la Sorbonne qu’on attendoit cet éclaircissement. Toute la chrétienté avoit les yeux ouverts pour voir dans la censure de ces docteurs ce point imperceptible au commun des hommes. Cependant M. Arnauld fait ses apologies, où il donne en plusieurs colonnes sa proposition, et les passages des Pères d’où il l’a prise, pour en faire paroître la conformité aux moins clairvoyans.

Il fait voir que saint Augustin dit, en un endroit qu’il cite, « que Jésus-Christ nous montre un juste, en la personne de saint Pierre, qui nous instruit par sa chute de fuir la présomption. » Il en rapporte un autre du même Père, qui dit « que Dieu, pour montrer que sans la grâce on ne peut rien, a laissé saint Pierre sans grâce. » Il en donne un autre de saint Chrysostome, qui dit « que la chute de saint Pierre

  1. Éd. de 1657 : Si atroces.
  2. Ibid. : Détestables.
  3. Ibid. : Horriblement.