Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/10

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Il n’a pas prétendu corriger la société, il serait au contraire désolé qu’elle changeât, car elle lui plaît telle qu’elle est, elle l’amuse, elle l’inspire, il chérit tous les ridicules qu’il découvre en elle, parce qu’ils le rassurent et l’autorisent à garder ceux qu’il a ; ridicules dont il rit lui-même avec bonhomie quand il les aperçoit.

Comme il écrit sans prétention, il veut qu’on le traite sans conséquence. Le but de sa préface est donc de déclarer qu’il a écrit ces pages pour lui-même, en s’amusant, sans projet de les publier, sans penser qu’on dût les lire ; qu’il n’y attache aucune importance : voilà tout son charlatanisme ; voilà sa seule originalité.

Ainsi donc, que ces esprits sérieux qui ne voient dans l’apparition d’un livre qu’un auteur à juger, et qui tiennent gravement le couteau d’ivoire suspendu sur son œuvre comme un glaive sur la victime, que ceux-là, dis-je, n’entreprennent point la lecture de ce livre ! il n’a pas été écrit pour eux, ils ne le comprendraient pas. Il ne s’adresse qu’à ces imaginations paresseuses qui suivent avec complaisance les rêveries du poëte, les merveilles d’un conte de fées ; qui n’analysent pas ce qui les fait rire, qui ne se font pas un remords d’avoir compris un mot que le dictionnaire de l’académie n’a pas sanctionné ; qui nous savent bon gré de publier une Nouvelle sans prétention, sans nous croire auteur pour cela, sans la corriger, comme on envoie à son ami une lettre écrite à la hâte, et qu’on ne s’est pas donné la peine de relire ni même de signer ; enfin à ces lecteurs spirituels et indulgens qui ont toujours un peu de reconnaissance pour le livre qui les a aidés à passer une heure d’attente entre une affaire et un plaisir, entre un adieu et un retour. Cette catégorie comprend les hommes qui s’ennuient et les femmes qui aiment, n’est-ce pas à peu près la moitié du monde !


Novembre 1831.