Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/19

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fausseté inutile, ce qui donne une si grande impatience de la déconcerter. Il sentait qu’un pas de plus fait vers le désenchantement lui donnait le droit d’entrer en guerre avec la société, et que, fort des avantages de sa pénétration, il pouvait trouver dans le malin plaisir de son esprit une compensation au naïf bonheur qu’il avait perdu. « Courage, se disait-il, je serai du moins délivré des tortures d’une demi-confiance ; si celui-là me trompe aussi, je ne croirai plus à rien, je briserai mon cœur, je serai libre, et je m’amuserai en me vengeant… » Décidé à rompre le charme, M. de Lorville épiait le moment où il pourrait lorgner son ami sans en être regardé ; puis, continuant sa conversation :

— Ta petite sœur doit être bien belle maintenant. Te ressemble-t-elle ? Et comme pour s’assurer si cette ressemblance pouvait être un avantage, il fixa sur son ami son lorgnon implacable, en écoutant sa réponse.

— Oui, reprit M. de Fontvenel, Stéphanie me ressemble un peu, mais elle n’est pas aussi jolie qu’elle promettait de le devenir.

Edgar savait par d’autres personnes que mademoiselle de Fontvenel était devenue ravissante. Cette modestie trompeuse l’alarma ; mais qu’il fut heureusement soulagé en pénétrant le généreux motif qui l’avait dictée ! « Non, pensait M. de Fontvenel, je ne veux pas qu’Edgar aime ma sœur, elle n’est pas assez riche pour lui, et je ne veux pas que l’on puisse m’accuser de spéculer sur les bons sentiments de mon ami pour lui faire faire une mauvaise affaire à mon profit. »

Quelle délicatesse il y avait dans cette pensée, et combien Edgar y fut sensible ! Avec quels délices il contemplait ce cœur si noble où les sentiments les plus dévoués et les plus purs semblaient s’être réfugiés ! que sa jeune âme était doucement émue, en passant si subitement des angoisses de la défiance aux transports d’une foi renaissante !… Dans le délire de sa joie, Edgar, retrouvant sa bonhomie naturelle, ne peut se contenir, et, oubliant les Tuileries, les promeneurs, les élégantes, les factionnaires et tout cet attirail qui rappelle le monde et modère singulièrement les élans du cœur, il saute au cou de son ami et l’embrasse avec transport en s’écriant :

— Ah ! cher Alphonse, que je t’aime, et que je suis heureux !