Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Fontvenel le crut complètement fou, car, pour éviter de parler de sa sœur, il s’était empressé de mettre la conversation sur des choses absolument indifférentes, sans s’apercevoir qu’Edgar ne l’écoutait point. Il avait parlé des spectacles, des pièces jouées à Paris pendant son absence, il en était à raconter Monsieur Cagnard et les meilleures plaisanteries de cette bonne satire, lorsque M. de Lorville l’embrassa si passionnément, et il ne pouvait comprendre pourquoi le nom d’Odry, de Vernet et de madame Vautrin lui inspiraient de tels transports. Ainsi l’on accuse souvent de folie l’homme qu’une subite découverte fait changer d’avis, et de caprice une femme que sa pénétration vient d’éclairer.


IV.

Edgar, réconcilié avec son talisman, ne songeait plus qu’à jouir du plaisir qu’il lui promettait dans le monde. Il est certain qu’il l’aidait à dévoiler des choses bien amusantes.

Personne plus qu’Edgard ne se divertissait au spectacle, la salle et le théâtre lui offrant un double plaisir. Cependant l’illusion pour lui était difficile, et les pensées qu’il découvrait à l’aide de son lorgnon dans l’âme de l’acteur le gênaient bien souvent pour s’intéresser au héros qu’il représentait. Par exemple, les bons et honnêtes sentiments qu’il lisait dans le cœur du farouche Marat au plus fort de sa colère ; les rêveries de toilette qu’il surprenait dans la pensée de Charlotte Corday au moment de l’assassiner ; le joli chapeau qu’il lui voyait admirer aux secondes loges, en levant les yeux au ciel, pour mieux écouter sa sentence ; les réflexions burlesques de ces pauvres jeunes premières, que leurs corsets baleinés gênent tant pour mourir avec grâce, à la Smithson ; les petites préoccupations du grand Napoléon, qui avait si peur de se faire une querelle avec les défenseurs du juste milieu, en représentant trop fidèlement le père du fils de l’homme… tous ses secrets enfin, connus de lui seul, le dérangeaient dans sa terreur ; aussi était-il mauvais juge. La comédie, même celle de Molière, ne pouvait non plus lui laisser de grandes illusions. Lisette et