Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/21

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Scapin, loin de l’amuser par leur folie, lui faisaient pitié ; ils avaient l’âme si triste, au milieu de leur gaieté, de voir la salle vide et de plaisanter dans le désert.

« Personne ! pas un chat dans toute la salle ! » pensait douloureusement la pauvre soubrette, en éclatant de rire de ce rire de comédie si peu contagieux.

« Sept livres dix sols de recette ! » se disait amèrement Scapin en gambadant autour de Géronte.

Et Lisette, continuant de folâtrer, se disait : « Faire une toilette pour n’être pas regardée ! »

Et Scapin, poursuivant ses pirouettes, se disait : « Débiter cinq cents vers pour des gardes nationaux qui viennent dormir gratis, étendus sur les banquettes du parterre !… »

Et tout cela était d’un comique à fendre le cœur.

L’opéra ne l’amusait pas moins à observer. Les bruyants compagnons du comte Ory ne lui semblaient pas tous aussi joyeux et aussi enivrés qu’ils voulaient bien le paraître. La Somnambule n’était pas non plus si malheureuse d’un soupçon qu’elle s’efforçait de le faire croire… Enfin, les habitués de l’Opéra et des autres théâtres s’étonnaient souvent de voir au balcon un jeune homme, qui paraissait spirituel, rester seul sérieux quand toute la salle éclatait de rire, tandis que, au contraire, il riait parfois comme un fou aux moments les plus pathétiques des plus beaux désespoirs de nos plus grandes actrices. Souvent aussi les spectateurs placés auprès de lui s’éloignaient brusquement, ne se rendant pas compte de leur malaise, mais comme magnétisés par le regard de ce jeune homme qui souriait sans leur parler. Il y avait un soir à l’Opéra, aux troisièmes loges de face, une grosse dame parée qui devait avoir une idée bien singulière, car M. de Lorville faillit mourir de rire en la regardant.

C’était le jour du grand bal dont il a déjà été question. M. de Lorville était depuis une heure chez l’ambassadrice, se promenant çà et là, lorgnant, écoutant, et se cachant pour observer. Il savait déjà l’histoire de toutes les parures ; il avait déjà pénétré tous les petits secrets de la coquetterie, les maigres efforts de l’avarice, les prudentes ruses de l’économie ; il savait le nom de tous les bouquets. Telle femme respirant le parfum