Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/28

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— Ces jeunes gens du faubourg Saint-Germain, pensait-il, sont d’une suffisance…

— Ceux du faubourg Saint-Jacques ne vous plaisent guère davantage, dit Edgar, sachant que le seul mot d’étudiant faisait trembler le politique.

Celui-ci se retourna vivement, épouvanté de cette voix qui répondait à sa pensée ; il rêva longtemps à cette circonstance extraordinaire, et, ne pouvant la comprendre, il l’expliqua par un phénomène plus surprenant peut-être, et crut avoir pensé tout haut pour la première fois de sa vie.

Edgar, en rentrant dans la salle de bal, aperçut son ami Narvaux, causant mystérieusement, dans un angle de porte, avec quelque chose qui ressemblait de loin à un ambassadeur turc ou à une vieille Anglaise. En effet, c’était une de ces vieilles Anglaises inimitables qui, après avoir eu quatorze ou quinze enfants dans leur pays, viennent à Paris pour apprendre le français. Elle portait sur la tête un de ces turbans à trois étages que l’Angleterre seule produit : des plumes, des fleurs, des diamants, de l’acier, des glands de jais, des rubans, des blondes, des clefs d’or, ornaient cette imposante coupole sous laquelle minaudait une figure longue et décharnée qui en faisait encore ressortir l’énormité. Edgar n’avait jamais vu, dans ses voyages ni dans ses cauchemars, un être plus fantastique, une femme plus fastueusement laide. M. Narvaux, qui, l’année précédente, avait découvert aux eaux de Plombières cette espèce de momie prétentieuse, parut embarrassé d’être surpris causant si coquettement avec elle par le plus moqueur de ses amis. Il détourna la tête, feignant de n’avoir pas aperçu M. de Lorville, mais celui-ci fut implacable. Résolu de punir M. Narvaux de son mensonge, il s’approcha de lui d’un air discret, et, désignant la vieille Anglaise, il dit tout bas d’un ton railleur :

— C’est elle ! n’est-ce pas ? Ah ! que tu as raison, mon cher ; je suis bien comme toi, j’irais au bal chez mon plus grand ennemi pour la voir danser !

Les hommes fins, et qui se rappellent leurs mensonges, en ont toujours un de réserve en cas de surprise ou de malheur. Ils s’attendent à être déconcertés, et ils ne lancent