Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

un attendrissement qu’elle ne pouvait cacher, vint à lui les larmes aux yeux, et bien qu’elle ne lui parlât pas du service qu’il venait de rendre à son fils, tout en elle prouvait à quel point elle y était sensible. Stéphanie, quoique avec plus de retenue, témoigna aussi les mêmes sentiments. Son frère semblait fier et joyeux, et M. de Lorville ressentait outre le plaisir d’avoir fait une bonne action, celui d’en voir profondément heureuses des âmes qui en étaient dignes. Ah ! que de doux moments il pouvait passer dans cette famille si bienveillante pour lui, auprès de cette ancienne amie de sa mère, qui l’avait élevé comme un fils ; il s’étonnait de l’avoir ainsi négligée depuis son retour. Mais à Paris les gens qu’on aime le plus sont ceux que l’on voit le moins ; s’ils ne sont pas autant que nous lancés dans ce tourbillon de plaisirs mondains qui nous entraîne, on les perd de vue, et ils nous deviennent bientôt tout à fait étrangers, à moins qu’il ne leur arrive, de temps en temps, quelque grand malheur qui nous ramène à eux.

C’est une chose singulière, mais incontestable, que, dans le grand monde, pour se voir tous les jours quand on se convient, il faut avoir, non pas les mêmes amis, mais les mêmes indifférents. L’important est de ne pas se gêner ; en amitié comme en tout, on ne fait que ce qui est commode ; aussi l’occasion l’emporte-t-elle sur tous les projets, et souvent l’homme qui néglige son meilleur ami parce qu’il demeure loin de lui, passe sa vie chez un voisin qu’il déteste.

Edgard fut frappé de la beauté de mademoiselle de Fontvenel. Quelle différence entre cette petite fille espiègle qu’il avait quittée il y a trois ans, et cette grande et belle femme qu’il retrouvait parée de toutes les séductions que donne à une nature élevée une éducation distinguée. Il ne se rappelait plus, en voyant Stéphanie si belle et si imposante, que peu d’années auparavant il la tutoyait comme une sœur, et ce fut avec une émotion presque timide qu’il baisa la jolie main qu’elle lui tendait affectueusement. Bientôt, en la voyant rire comme autrefois, il se rassura. Ses regards attendris se portèrent alternativement sur madame de Fontvenel, sur Stéphanie, sur son frère, et il sentit que, malgré lui, depuis qu’il était revenu dans cette maison, toutes ses pensées avaient un avenir.