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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/35

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Plusieurs visites étant survenues, M. de Lorville céda la place qu’il occupait auprès de la maîtresse de la maison, et alla rejoindre Stéphanie à l’autre bout du salon. Elle était assise devant une table couverte d’album, de journaux, de caricatures ; une autre jeune personne brodait auprès d’elle ; un artiste célèbre s’amusait à dessiner des figures grotesques qu’un jeune officier imitait scrupuleusement ; l’un copiait une romance, un autre cherchait à transcrire mystérieusement une chanson poétique et toujours séditieuse de Béranger. Chacun enfin paraissait occupé, ce qui n’empêchait pas la conversation d’être animée.

Lorsque mademoiselle de Fontvenel vit Edgar s’approcher :

— Voici M. de Lorville, dit-elle ; prenons garde à nous, malheur à qui cache un secret ! Il va bien vite deviner ce que chacun de nous désire : c’est l’homme du monde le plus pénétrant.

— Rassurez-vous, reprit Edgar, ce soir je ne veux rien deviner.

— Comment ! vous êtes bien dédaigneux ! vous n’avez donc nulle envie de connaître notre pensée ?

— Pas encore, elle ne peut m’être favorable : j’arrive. Les oubliés ont toujours tort, n’est-ce pas, Stéphanie ? Ah ! pardon, mademoiselle… mais je ne puis m’accoutumer à être traité ici en étranger, à y passer pour un nouveau présenté. Il faut absolument que je me trouve un droit à votre préférence. Ne sommes-nous pas un peu cousins ?

— Pas du tout, reprit en riant Stéphanie, et je ne peux pas là-dessus me faire la moindre illusion.

— N’importe, je vous appellerai ma cousine ; cela ôtera cet air de cérémonie dont un ami d’enfance ne peut s’arranger. Ainsi c’est convenu, vous m’appellerez votre cousin. Il n’y a pas bien longtemps, ajouta-t-il avec malice, que vous me donniez un nom plus doux ; mais malheureusement je me suis déjà aperçu que ces beaux jours sont loin de nous.

À ces mots, mademoiselle de Fontvenel rougit, et celui qu’elle nommait dans son enfance son petit mari s’amusa beaucoup de cet embarras. La moindre émotion, dans une personne qui paraît froide, a un charme auquel on résiste