Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/378

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
372
MONSIEUR LE MARQUIS

volontés, entra dans une de ces fureurs stupides qui rendent la folie si hideuse, si attristante : il frappa du pied avec violence, fit à Lionel des grimaces effroyables, le menaça du poing, lui cria des paroles inarticulées qu’il croyait des injures, lui jeta des poignées de la neige qui couvrait ses habits et finit par lui cracher au visage.

Il y avait quelque chose d’effrayant dans cette scène. Cette injure grossière d’un enfant mal élevé, cet outrage de hasard qui se trouvait mérité, avait, dans la position de ces deux hommes, quelque chose de grave et de terrifiant. C’était de l’instinct qu’une si humiliante vengeance.

Lionel, transporté de colère, oublia qu’il avait affaire à un fou, et se précipita sur M. de Pontanges pour le frapper ; mais Laurence, revenue à elle-même, s’élança entre eux et les sépara. Elle leva sur Lionel un regard à la fois noble et suppliant.

— C’est mon mari ! dit-elle. Est-ce donc à vous de vous venger ?

Puis, s’adressant au pauvre fou : — Amaury, comme tu as froid ! te voilà tout couvert de neige… d’où viens-tu ?

J’ai faim !… répondit-il.

— Oh ! mon Dieu, c’est vrai, s’écria madame de Pontanges toute confuse, je l’ai oublié ; oh ! que c’est mal… il n’a rien mangé ce soir — Pauvre Amaury, comme il a froid !… mais il est sorti ; qu’a-t-il fait pour être dans cet état ?

En disant ces mots, Laurence regardait du côté de la porte qu’on avait laissée ouverte après le dîner, et par laquelle Amaury était venu sans qu’on l’entendît ; d’ailleurs cette porte était placée derrière le canapé où était Laurence, et M. de Pontanges avait eu peu de pas à faire pour arriver jusque-là. Le pauvre fou, ennuyé d’attendre sa gardienne, qui jusqu’alors l’avait si bien soigné, fatigué de l’avoir appelée vainement, et trouvant dans sa faim la force de vaincre sa timidité naturelle, était sorti. Il avait ouvert la porte du jardin, la seule qu’il sût ouvrir, et il avait erré longtemps sous la neige, heureux peut-être de voir ces blancs flocons qui lui rappelaient son enfance. Puis, lorsque le froid lui était devenu insupportable, il était rentré, et, après bien des peines, était parvenu, non