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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/64

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» M. de Lorville le regarda attentivement et sourit de la pensée de ce brave homme, qui se disait dans son langage : Sont-ils bêtes ! ils sont pressés et ils me prennent à l’heure !

» — Vraiment, m’écriai-je en riant, il est bien possible qu’il pense cela.

» Cependant M. de Lorville paraissait si sûr de sa pénétration, que j’avais hâte de le confondre. Je cherchai une occasion de lui prouver qu’il se trompait, et je me promettais de choisir une personne d’une condition assez commune pour que j’osasse l’aborder hardiment, et qui marchât d’un pas assez calme pour que j’eusse le temps de la rattraper. Comme j’y songeais, nous vîmes passer une petite couturière qui portait dans un morceau de taffetas dont elle tenait les quatre bouts plusieurs étoffes de robes qu’on apercevait entre les ouvertures du paquet mal fermé.

» — Que pense cette petite personne ? dis-je à M. de Lorville ; songe-t-elle à la manière dont elle taillera ces étoffes ?

» — Oui sans doute, reprit-il en riant, et voilà lettre pour lettre ce qu’elle se dit : Jamais je n’aurai assez de taffetas pour la robe de madame Charlier… Ernest qui veut que je lui lève un gilet dessus !

» J’avoue que je ris de cette supposition ; mais comme il soutenait que c’était la vérité, il s’établit un pari entre nous. Je le quittai bien vite pour rejoindre la petite ouvrière, que je retrouvai au coin de la rue de Grammont ; et l’ayant suivie presque chez elle, je lui demandai, non sans avoir beaucoup de peine à garder mon sérieux, si elle n’avait pas une robe à faire pour madame Charlier.

» Elle me répondit : — Oui, monsieur, une robe de gros de Naples noir.

» Je me mourais d’envie de rire à cette réponse ; cependant je me retins, et la priai de me dire si, par hasard, M. Ernest ne devait pas venir la voir le jour même. Elle parut un peu embarrassée à ce nom. Enfin elle me répondit qu’en effet M. Ernest devait venir la voir, le jour même, chez sa mère ; mais que, si j’étais un de ses amis, elle me priait bien de ne rien dire, parce que son maître le gronderait de quitter son magasin à cette heure-là.