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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/73

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— Pardon mille fois, messieurs, dit-il, de vous recevoir dans une chambre si en-désordre.

— C’est à moi de vous faire des excuses, répondit M. Renaud ; je crains de vous déranger ; mais M. de Lorville, ajouta-t-il en désignant Edgar, désire acheter cette maison, j’ai pris la liberté de l’amener… Peut-être sommes-nous venus de trop bonne heure ?

— Non vraiment, reprit le marquis sans regarder le propriétaire.

Puis, s’adressant à M. de Lorville, il lui dit quelques mots avec cet air bienveillant d’un homme de bonne compagnie qui parle à un de ses égaux, tandis qu’il avait avec le propriétaire cette politesse affectée et séparante qui semble dire : — Vous n’êtes pas des nôtres.

On visita successivement toutes les chambres du vaste appartement. En traversant la chambre à coucher de la marquise, M. de Lorville aperçut une femme assise devant un secrétaire et occupée à écrire attentivement une lettre dont le brouillon était devant elle. Curieux de savoir ce qu’elle écrivait et d’où venait le trouble qu’il avait remarqué dans cette famille, Edgar lorgna la marquise sans qu’elle s’en aperçût, et lut dans sa pensée ces mots qu’elle allait tracer :

« Nous serions fort honorés, mon mari et moi, d’avoir pour gendre un homme tel que vous ; mais d’anciens engagements… »

Edgar n’en put lire davantage, la marquise s’étant levée pour le saluer ; mais, se doutant bien que cette lettre avait dû être concertée avec le marquis, il se mit à le lorgner à son tour :

« Non, en vérité, pensait-il, ma fille ne sera point la femme d’un mauvais parvenu. J’ai beaucoup perdu à la révolution, il est vrai ; mais, tant que je vivrai, jamais une Châteaulancy ne s’appellera la comtesse Chapotier ! »

Un moment après, une jeune fille traversa le salon en pleurant, et M. de Lorville sut alors tous les secrets de cette famille, et même tous les inconvénients de cet appartement ; car, s’il avait été mieux distribué, la pauvre enfant ne se serait pas vue forcée de passer par le salon pour rentrer chez elle et de montrer ses larmes à des inconnus.