Au premier étage demeurait un ancien préfet de l’empire, précisément ce même comte Chapotier dont le fils aîné, jeune homme spirituel et distingué, avait su plaire à mademoiselle de Châteaulancy et qui venait d’être si cruellement éconduit.
Le comte Chapotier, qui ne savait rien des amours de son fils aîné, s’inquiétait beaucoup de celles de son second fils, jeune homme vif et décidé, qui paraissait difficile à conduire. Lorsque M. de Lorville et M. Renaud entrèrent dans le cabinet du comte, le jeune officier, assis dans un bon fauteuil, lisait tranquillement son journal (c’était le Temps), sans paraître écouter le sermon que son père lui faisait avec gravité, debout devant la cheminée, dans une attitude à la fois paternelle et préfectorale tout à fait convenable à la circonstance. Au moment où la porte s’ouvrit, il prononçait ces mots :
— Vous n’y pensez pas, mon fils, cela est impossible !
Voyant entrer quelqu’un, il s’arrêta ; puis, après avoir adressé à M. Renaud une phrase insignifiante d’un ton protecteur et insolent, il allait reprendre son sermon où il l’avait laissé, lorsque le nom de M. de Lorville attira son attention ; alors ses manières changèrent, et il fit voir lui-même toutes les pièces de son appartement au fils du duc de Lorville avec une politesse pleine d’empressement et douceur.
— Cette maison est fort belle, et nous serions bien heureux de vous avoir pour propriétaire, disait-il sans s’inquiéter du vrai propriétaire qui était là, et à qui ce souhait devait paraître peu aimable. Les appartements sont superbes, les salons vastes ; l’antichambre peut contenir un grand nombre de laquais ; tout y est grandiose, mais il faut être riche pour l’habiter.
Le comte parlait depuis un quart d’heure ; Edgar, étonné d’un rapprochement singulier, ne l’écoutait point ; il était tout occupé de la découverte qu’il venait de faire. Pendant le discours du père, il avait lorgné le fils.
« Mon père est fou, pensait le jeune homme rebelle ; m’empêcher d’épouser Angeline, et cela parce qu’elle est la fille d’un avocat ! me soutenir qu’un avocat n’est qu’un bavard qui vend ses paroles, qui ment pour de l’argent ; un marchand de phrases, un fabricant de paradoxes ; que tous les avocats sont des brouillons qui ont perdu la France avec leur jargon politique ; et