— M. d’Arzac va venir, dit Robert au valet de chambre qu’il avait sonné ; vous lui direz que madame de Meuilles est chez sa mère, et qu’elle le prie de venir l’y rejoindre.
Marguerite et Gaston montèrent à la hâte en voiture. Dans l’agitation où elle était, madame de Meuilles ne put entendre ce que M. de la Fresnaye disait au cocher. Les chevaux semblaient deviner qu’il s’agissait d’un enlèvement : ils allaient un train de poste, et bientôt Marguerite se trouva dans des quartiers de Paris qu’elle n’avait jamais vus.
Robert et Marguerite voyagèrent ainsi pendant près d’une heure en silence ; ils avaient l’air de se bouder, mais ils étaient heureux à en devenir fous. « Comme je l’aime ! » se disait Marguerite. « Comme je vais l’aimer ! » pensait Robert. Gaston seul babillait et faisait mille questions auxquelles il répondait lui-même. Il comprenait vaguement qu’il y avait un grand événement, dans cette promenade et que cet événement lui plairait. Il riait, il chantait, il embrassait Robert, il embrassait Marguerite, il se chargeait d’exprimer à lui tout seul la joie étouffée, la tendresse réprimée que sa mère et son sauveur n’osaient se témoigner devant lui.
La voiture s’arrêta en face d’une grande porte artistement sculptée.
— Ah ! c’est là ? dit Gaston ; comme c’est loin aujourd’hui !
Robert ne put s’empêcher de sourire à cette naïveté. On passa sous une voûte éclairée à giorno, et Marguerite, en descendant de voiture, entra dans un vestibule tout rempli de fleurs. Elle monta quelques marches, sans savoir ce qu’elle faisait, étourdie, charmée, ravie… Elle traversa plusieurs pièces richement meublées, ornées de tableaux, de statues, et arriva dans un salon, d’une élégance exquise, où une femme qui lui était inconnue semblait l’attendre. L’aspect de cette étrangère la rendit à la raison, elle se sentit embarrassée près d’elle, et, regardant M. de la Fresnaye avec inquiétude, elle lui dit :
— Mais où suis-je donc ? chez qui suis-je donc ?
— Chez vous, répondit M. de la Fresnaye en s’inclinant.
— Chez vous, madame, dit l’étrangère avec un léger accent italien.