Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/217

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droit d’aînesse. Les cadets de famille n’en sont plus réduits aux modestes titres de vicomtes et de barons. Si leur frère aîné est comte, ils sont tous comtes ; s’il est marquis, ils sont tous marquis ; même s’il est prince, ils sont princes. Ne sommes-nous pas sous le régime de l’égalité ? La loi d’aînesse n’a-t-elle pas été repoussée avec horreur ? Selon les principes de la politique nouvelle, tous les hommes sont frères… et tous les frères sont égaux… donc, les frères d’un comte doivent être comtes comme lui… Voilà du moins ce que la noblesse aura gagné à la révolution de juillet.

La duchesse s’empressa d’aller recevoir les deux femmes qu’on venait d’annoncer, et chacun se mit à les examiner avec curiosité.

Cette visite était un événement. Il y avait quatre ans que la jeune veuve de Charles de Viremont n’avait paru dans le monde ; sa belle-sœur semblait fière et heureuse de l’y ramener. Elle lui servait de chaperon de très-bonne grâce, bien qu’elle fût à peine plus âgée qu’elle. Mais madame Albert de Viremont est une de ces femmes froides, sérieuses, tristes, qui aiment le monde passionnément, comme toutes les personnes inanimées ; car les ennuyeux se rendent justice, ils s’ennuient aussi eux-mêmes. Ils se fuient ; pour s’amuser, ils ont besoin des autres, c’est-à-dire d’ennuyer les autres. Ces esprits engourdis aiment le bruit qui les réveille et le mouvement qui leur fait sentir l’existence. Ils sont bien autrement avides de fêtes et de plaisirs que ne le sont les caractères évaporés ; mais comme ils rougissent un peu de ces goûts frivoles en contradiction avec leur maintien, ils cherchent toutes sortes d’adroits prétextes pour s’y livrer sans remords ; et ils parviennent ingénieusement à décorer du nom de complaisance et de devoir leur sournoise futilité.

Sans avoir les traits réguliers, madame Albert de Viremont paraît belle. Une extrême pâleur, des yeux et des cheveux noirs lui donnent une physionomie remarquable ; et puis elle a ce faux air sentimental et romanesque qui doit naître nécessairement d’une grande tristesse, jointe à une grande parure. N’oublions pas de dire que madame de Viremont, qui suit la mode avec conscience et parle chiffons en savant docteur,