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NOÉMI, OU L’ENFANT CRÉDULE.

— L’as-tu vu ?

— C’est maman qui me l’a dit, et qui m’emmène tous les jours avant que l’eau remonte.

— Elle te dit cela pour t’empêcher d’aller jouer au bord de la mer, parce qu’elle ne veut pas que tu tombes dans l’eau ; comme on me dit aussi, à moi, que Croquemitaine emporte les petites filles qui se promènent le soir dans le jardin, parce que ma bonne ne veut pas que je sorte et que je m’enrhume. Ces contes-là sont inventés pour les tout petits enfants ; mais nous autres, nous ne sommes pas obligés d’y croire.

— Cependant, mamzelle, c’est bien connu dans le pays… la marée !

— Et Croquemitaine ! est-ce qu’il n’est pas bien connu aussi, et pourtant tu ne l’as jamais vu ! Va, ne crois pas à tous ces mensonges. Si tu savais comme on s’est moqué de moi quand j’étais petite, et l’on avait raison ; je croyais toutes sortes de folies : j’avais peur d’être mangée par des ogres, d’être changée en chatte ; je craignais toujours, quand je me mettais en colère, de voir sortir de ma bouche des crapauds et des couleuvres ; je croyais encore…

— Mamzelle, interrompit le petit paysan éperdu, regardez donc !

Noémi, à genoux et occupée à ramasser des coquilles, tournait le dos à la mer.

— Laisse-moi tranquille, répondit-elle, tu es un peureux ; je ne jouerai plus avec toi…

Mais en disant ces mots, elle retourna la tête, elle venait d’entendre derrière elle un bruit singulier dans les cailloux. Quelle fut sa terreur en voyant que la mer était déjà venue presque jusqu’à ses pieds ! le panier qu’elle avait rempli de coquilles et qu’elle avait laissé sur le rivage était déjà presque entièrement caché par les flots, qui s’avançaient, qui s’avançaient toujours avec une rapidité effrayante.

— Fuyons ! fuyons ! s’écria le petit paysan. Vous le voyez bien, maman avait raison.

Les deux enfants se mirent à courir avec toute la vitesse de la peur ; mais leurs pauvres petits pieds n’allaient point si vite que la mer, cette ennemie implacable qui les poursuivait.