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L’ILE DES MARMITONS.

citoyen (excepté pourtant les militaires) était obligé d’être soldat, avec fusil, giberne et sac sur le dos. Ah ! il n’y avait pas à dire, il fallait être guerrier, fussiez-vous colleur, cordonnier, confiseur, pâtissier. Cesaro trouvait donc très-simple, puisqu’il avait un pays où les pâtissiers montaient la garde, qu’il y en eût un aussi où les marmitons fissent la guerre.

Cesaro, pour mieux voir défiler les troupes, était monté sur une borne, et là, il se tenait droit comme un piquet, fier comme un Écossais, examinant toute chose avec attention. D’abord, cette multitude de bonnets de coton, tous de forme semblable et surmontés d’une mèche pareille, lui parut pécher par une sorte d’uniformité qu’on pouvait accuser de monotonie ; mais bientôt son œil finit par s’exercer à saisir des nuances d’abord imperceptibles ; il remarqua des différences sensibles entre un bonnet de coton et un autre, et enfin il découvrit qu’à la manière plus ou moins coquette ou sévère dont le bonnet était placé, on pouvait deviner le caractère et les habitudes de celui qui le portait. C’était là le secret de la reine, secret que pas un de ses ministres n’avait encore pu pénétrer.

Avec tout l’extérieur d’une marmite, cette princesse avait le regard d’un aigle, et il lui suffisait de voir un homme passer devant elle coiffé d’un bonnet de coton pour savoir s’il était paresseux, buveur, brave ou poltron, stupide ou spirituel, fat ou bon enfant : ce système d’observation était infaillible.

La reine apercevait-elle un bonnet de coton placé sans soin et de travers : — Voilà un mauvais sujet, se disait-elle.

Le bonnet était-il, au contraire, posé coquettement un peu sur l’oreille : — Voilà un garçon soigneux et intelligent, se disait-elle ; et alors elle lui confiait des fonctions importantes.

Ceux qui mettaient leur bonnet tout en arrière, la mèche tombant sur le cou, n’étaient jamais employés par la reine ; en effet, c’étaient toujours des niais, de francs imbéciles.

Les élégants, les dandys du pays, non-seulement posaient leur bonnet de coton d’une manière tout à fait particulière, mais encore ils en faisaient légèrement friser la mèche ; ils allaient même jusqu’à en faire broder la pointe, les uns en soie, les autres en perles ou en or, ce qui leur donnait l’air fort ridicule et prétentieux ; de plus, cela était contraire à la