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LE VICOMTE DE LAUNAY.

s’apercevra pas que Byron, le prince de Metternich et M. de Chateaubriand, madame de Staël et George Sand étaient des gens du monde ; oui, George Sand ! car, malgré sa haine contre les gens comme il faut, son style trahit à chaque page la plume de bonne compagnie ; il n’y a qu’une femme du monde qui puisse peindre le monde comme elle le peint. Demandez à M. de Ramières, il vous dira qu’il a vu Indiana il y a huit ans au bal chez l’ambassadeur d’Espagne, et qu’elle était une des plus jolies femmes du bal.

Demandez aussi à M. le comte Walsh, qui paraît avoir étudié à fond le caractère et le talent de l’auteur de Lélia. Il a écrit tout un volume intitulé George Sand. La chaleur de conviction et la grande bonne foi de ce livre nous ont séduit. Des regrets, des reproches si flatteurs, doivent donner de l’orgueil. M. Walsh, reprochant à l’éloquent ennemi de la société le fatal emploi qu’il fait de son génie, semble lui dire : Quel dommage que parlant ainsi tu dises cela ! Mais que ces reproches sont injustes, et que ces nobles conseils sont inutiles ! George Sand est-il donc coupable de ses inspirations ? Est-ce sa faute si son âme est désenchantée ? Un poëte n’est réellement poëte que parce qu’il chante ce qu’il éprouve ; et il n’est pas responsable de ses impressions. Il peut corriger son style, mais il ne peut pas changer sa pensée ; sa pensée… il ne la choisit pas, il la produit, c’est un fruit de son cœur, qu’il a tout au plus le droit de cultiver ; un grand poëte est l’expression de son époque ; maudissez l’époque qui le fait naître, si ses œuvres révoltent vos esprits, mais ne vous en prenez pas au poëte ; s’il est triste, s’il gémit, s’il blasphème, s’il attaque la société, c’est que l’heure est venue où la société a abusé de toutes choses ; c’est que l’heure est venue pour les intelligences supérieures de se décourager. L’Angleterre, qui nous devance toujours de quelques années, l’Angleterre a vu briller Byron, la France voit naître George Sand. Ne lui reprochez point de haïr la société ; reprochez à la société d’être arrivée au point d’inspirer avec raison cette haine, et d’avoir mérité le succès de ses ennemis. Ce n’est point Luther qui a fait la réforme : c’est l’abus de toutes les lois saintes qui a soulevé tout un siècle, et qui a donné à un homme la force d’une si terrible révolution… Un