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LETTRES PARISIENNES (1837).

de ralliement. Cette année, les roses blanches ont remplacé les grenades ; vous croyez peut-être que cela est très-joli, eh bien ! c’est une erreur ; en élégance, rien n’est joli d’une manière absolue. Dans une parure, les fleurs sont comme les chiffres. C’est leur place qui fait leur valeur ; une belle rose blanche sur de beaux cheveux noirs fait un effet charmant sans doute ; mais il n’est plus question de cheveux aujourd’hui, on a supprimé les cheveux. On les remplace par un tour de roses blanches qu’on décore du nom de guirlande, mais qui de loin, sur un front complètement chauve, ressemble à une couronne de papillotes. Voici comment on se coiffe quand on veut être à la mode : on relève ses cheveux à la chinoise ou à peu près, car les demi-bandeaux, qui laissent voir toute la tempe, ne sont qu’une chinoise altérée ; le front ainsi découvert n’a de secrets pour personne ; s’il a une cicatrice, on la voit ; s’il a des rides, il les avoue ; s’il a de la candeur, il la montre ; on sait tout de suite à quoi s’en tenir sur l’âge et le caractère de la femme qui vient à vous. Puis, sur le haut de ce front nu on applique sept roses blanches ! De près, cette parure n’empêche pas une jolie personne de paraître jolie ; mais de loin elle lui donne un air poupart qui n’a aucune distinction. Les grandes coquettes, les femmes à haute prétention, les artistes jettent la guirlande de côté sous le chapeau ; sur la joue gauche, cinq grosses roses en demi-guirlande ; sur la joue droite… rien du tout. C’est un caprice, un aimable désordre, un gracieux effet de l’art. Les ignorants, qui ne sont pas dans le secret de cette recherche, croient tout simplement qu’elles ont mis leur bonnet de travers. Nous prévenons les beautés de province que cette invention est une mode de contrebande que l’aristocratie de l’élégance n’a point consacrée, et qu’il faut bien se garder d’imiter. Tant que la bigamie sera un cas pendable en France, tant que les femmes de ce pays persisteront à voir d’un mauvais œil l’homme qu’elles adorent aimer une autre femme, tant qu’elles rêveront un amour exclusif, elles n’auront pas le droit de se coiffer à la chinoise. On n’est autorisé à singer les modes d’un pays que lorsqu’on en a pris les mœurs.

L’autre soir, à Tivoli, nous ne croyons pas exagérer en affirmant qu’il y avait bien deux mille cinq cents roses blanches.