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LE VICOMTE DE LAUNAY.

foule improvisée monte aussitôt vers les galeries de Saint-Germain, et disparaît. À notre tour, maintenant. Nous attendons encore un peu, mais ce spectacle nous avait intéressé, et nous étions plus patient. Enfin, nous descendons dans la cour. Nous montons dans une berline, nous y sommes fort à l’aise et bien assis. Là, nous attendons, nous attendons que tous les voyageurs soient emballés ; nous étions six cents à peu près : quelqu’un disait onze cents, ce quelqu’un avait peur sans doute. Enfin le cor se fait entendre, nous recevons une légère secousse, et nous partons. Il était sept heures moins un quart ; le voyage a été aussi agréable que l’attente avait été fatigante ; le plaisir de courir si vite nous faisait tout oublier. Dans les voitures, évitez la banquette qui est près des roues, c’est la moins bonne place. Mais vivent les chemins de fer ! nous persistons à dire que c’est la manière la plus charmante de voyager ; on va avec une rapidité effrayante, et cependant on ne sent pas du tout l’effroi de cette rapidité ; on a bien plus grand’peur en voiture de poste, vraiment, ou en diligence, quand on descend la montagne de Tarare, ou même la moindre montagne, et il y a aussi beaucoup plus de danger ; malheureusement nous sommes négligents en France, et nous avons l’art de gâter les plus belles inventions par notre manque de soins. On va à Saint-Germain en vingt-huit minutes, c’est vrai, mais on fait attendre les voyageurs une heure à Paris, et trois quarts d’heure à Saint-Germain, ce qui rend la promptitude du voyage inutile. Et cela, parce que nous n’avons point de conscience, ou plutôt parce que chez nous chacun méprise son propre métier ; on a toujours mieux à faire que son devoir. Un homme de bureau méprise son bureau ; il ne saurait y arriver à l’heure précise, il est poëte ou auteur de vaudevilles : il vient tard, il avait sa répétition. Un caissier méprise sa caisse ; il se fait spéculateur : il vient tard, il avait un rendez-vous d’affaires. Un commis marchand méprise sa boutique ; il se fait homme à bonnes fortunes : il vient tard, parce qu’il n’avait pas de rendez-vous. Un clerc d’avoué méprise son étude ; il est musicien : il vient tard, il étudiait pour un concert. Et tout le monde est ainsi en retard, et de toutes ces négligences innocentes résultent souvent de grands malheurs.