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LETTRES PARISIENNES (1837).

d’arbres généalogiques pourraient envier ces arbres-là. La noblesse de cette forêt vaut bien celle du faubourg Saint-Germain.

Les ouvrières en modes se démènent ; les capotes de satin ont déjà vu le jour, non sur les têtes, mais sur les champignons ; les fleurs nouvelles sont les grappes de raisin. Oui, déjà beaucoup de raisin ; il sera fané sur les chapeaux avant d’être mûr sur les treilles.

Pour les coiffures en cheveux, les rouleaux ont remplacé les nattes. Sergent, qui a inventé cette coiffure, entremêle ses rouleaux de rubans de velours, ce qui est fort joli. Pour les femmes brunes, toujours les classiques bandeaux ; pour les blondes, les longs tire-bouchons à l’anglaise ; sous les chapeaux on met tout ce qu’on trouve : des dentelles, des pompons, des fleurs, des cordes de satin, des marabouts, du raisin noir, des fraises, des cerises et des groseilles, toutes sortes de fruits ; nous n’avons pas vu de légumes cependant, mais le monde élégant n’est pas encore revenu.

On nous écrit de Londres : « Les Anglais sont fous de leur jeune reine, qui est Anglaise dans l’âme ; elle partage tous les préjugés de son pays contre le nôtre. Elle trouve, par exemple, que les Français ont l’air de singes. » Eh ! elle a peut-être raison : auprès d’un gros Anglais au teint rose, immobile et silencieux, un petit Français bien maigre, au teint vert-pomme, riant, faisant toutes sortes de gestes et de grimaces en parlant, pourrait bien avoir l’air d’un singe !… Oui, mais aussi quel joli singe !

Enfin, l’on nous écrit de Bade : « Il n’y a ici de Français que Meyerbeer. Hier, au bal, qui a fini à onze heures, il y avait soixante personnes au plus, quelques Russes et des Anglais causant en français avec des Allemands, ce qui produit une conversation dont rien ne peut donner l’idée ; à tout moment je les entendais parler du Grand Turc, et comme je trouvais qu’on s’occupait de lui à Bade plus qu’il ne convient de le faire dans une ville d’Allemagne, j’ai écouté de plus près les discours : « Le Cran Turc n’est pas ici, disait-on, mais la crante-tichesse fa fenir. » Alors j’ai compris que le grand-duc ne viendrait pas, et j’ai attendu l’arrivée de la grande-duchesse,