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LETTRES PARISIENNES (1837).

verte aura fait le tour du monde, vous m’admirerez. » Il est patient, parce qu’il travaille pour l’avenir ; il sait le temps qu’il faut à la semence pour germer ; il n’est point susceptible ni vindicatif, il a trop d’orgueil pour cela ; il supporte bravement les épigrammes du vulgaire, qui lui semblent parfois un hommage, car il a vu que dans les plus nobles choses il y avait de la gloire à n’être pas compris. Le vrai savant est un homme de génie, c’est pourquoi il est simple, naïf, plein de bonhomie et de franchise.

Hélas ! il n’en est pas de même du faux savant : comme il n’a que de petites passions, il n’a aussi que de petites idées ; il se fâche avant qu’on l’attaque, il est envieux avant le succès ; il est sans cesse sur ses gardes ; il sait bien que sa réputation est usurpée, et il est toujours inquiet comme un voleur qui a peur de voir son crime découvert. Il ressemble aussi à ce qu’étaient autrefois les acquéreurs de biens nationaux, qui tremblaient toujours de voir revenir les anciens propriétaires de leurs domaines. Le vrai savant travaille nuit et jour assidûment : le faux savant, au contraire, a de longues heures d’oisiveté, car il attend pour travailler un peu les découvertes du vrai savant ; il les exploite, et il passe sa vie à les faire valoir à son profit. Il n’a de la science que l’orgueil, et, comme tous les usurpateurs, il n’est préoccupé que du soin de se faire des droits ; il intrigue pour toutes les places, il aspire à toutes les dignités, il assiège toutes les sinécures ; il n’a pas de repos qu’il n’ait obtenu la croix, et quand il l’a reçue, comme il n’a pu l’obtenir en qualité d’officier de marine, de diplomate, d’industriel, de peintre, de musicien, de poëte, ni même de danseur à l’Opéra, il est fondé à dire qu’il l’a méritée comme savant, et cela lui sert à se prouver à lui-même qu’il est un savant. Il a besoin souvent qu’on le lui rappelle. Le faux savant ne se fait aucune illusion sur lui-même, et c’est là son malheur, c’est ce qui le rend si méchant ; c’est qu’il est une plaie profonde que la vanité même ne peut nous cacher : notre misère ; et l’ignorance est la misère de l’esprit.

En cela le faux savant est véritablement à plaindre. Le pauvre homme, il est défiant et timide, il n’ose faire un seul pas ; voulez-vous le reconnaître tout de suite ? Rien n’est plus