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LETTRES PARISIENNES (1838).

une amie qui était aussi une rivale… Cette belle jardinière, c’est M. de B… qui l’a donnée ; ces superbes flacons viennent de madame X… — Et cette magnifique tapisserie ? — Je l’ai achetée à une pauvre femme qui mourait de faim. Puis, au-dessus de toutes les inutilités charmantes s’élève, orgueilleuse et fanée, une petite couronne de laurier : ceci est le trésor du sanctuaire ; c’est un prix de grec ou de latin, de thème ou de version ; c’est un prix remporté par un enfant chéri ; c’est le triomphe de l’année, c’est la date d’un jour de fête ; c’est l’heureux talisman qui chasse les déceptions amères, qui préserve des longs ennuis ; c’est la pensée intime, c’est la gloire, c’est l’excuse peut-être aussi. Cette couronne d’enfant, jetée au milieu de ces chinoiseries, de ces écrans, de ces cassolettes, de ces magots, de ces niaiseries de toute espèce, semble demander pardon pour tant de choses futiles, semble dire aux yeux étourdis d’une telle profusion d’inutilités : Cette vie élégante n’est point perdue ; elle n’appartient au monde qu’un moment, car elle est donnée tout entière au plus cher devoir, au plus saint amour…

Mais, chose étrange ! à mesure que les demeures s’enrichissent, les mœurs se simplifient et les façons se vulgarisent : les cafés, les théâtres et les cercles sont éblouissants de cristaux, de peintures et de dorures, et les habitués de ces lieux superbes sont mis comme des portiers et parlent comme des cochers de fiacre. Ils gardent tous leur chapeau sur la tête, et quel chapeau ! Ils jurent sans colère en se disant bonjour ; ils parlent haut pour qu’on entende ce qu’ils savent très-bien qu’il ne faut pas dire ; ils boivent avec fracas du mauvais vin ; ils fument avec prétention du mauvais tabac, et promènent avec orgueil des femmes laides. L’éclat qui les environne fait encore mieux ressortir le commun de leurs manières ; l’illumination est si grande ! on les voit si bien ! Quels tristes personnages pour un si beau cadre ! c’est un Téniers dans une bordure Louis XV ; mais, hélas ! c’est un Téniers vivant.

Ce qui nous déplaît dans ce luxe, c’est qu’il n’est pas du luxe, c’est qu’il est devenu l’absolu nécessaire ; c’est qu’on ne vit que pour lui, on ne s’occupe que de lui, on ne parle que de lui. Certes, personne plus que nous n’est partisan du com-