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LETTRES PARISIENNES (1838).

pourquoi porteraient-elles de vaniteuses dentelles ? À bas les dentelles ! les blanches et les noires, les guipures, les blondes, le point de Paris, le point d’Alençon ! À bas toutes ces humiliantes parures ! Les femmes du peuple n’en ont point. Nous, l’ami du peuple, nous ne voulons pas que notre femme soit plus belle que son épouse. Donc, plus de voile flottant, réseau folâtre si vite déchiré, si souvent remplacé. Fabricants de dentelles, fermez vos magasins ; donnez congé à vos actives ouvrières. Cruels ! vous fatiguez leurs yeux par ce travail minutieux : nous sommes plus généreux que vous et nous leur rendons le repos.

Nous avons supprimé les chevaux, les voitures, le velours, le satin, les dentelles ; pourquoi donc conserverait-on les bijoux, les insolents bijoux qu’on ne fait briller avec faste que pour exciter l’envie des pauvres qui n’en peuvent porter ? À quoi servent les diamants, par exemple ? À rien, si ce n’est à tenter les voleurs. Comment ose-t-on se couronner de diamants quand tant de malheureux n’ont pas de pain ? C’est injuste !… supprimons aussi les diamants. Bijoutiers, fermez vos boutiques ; on n’a plus besoin de vous, mes amis ; votre art inutile irrite les classes pauvres, vous encouragez le vice en étalant toutes ces richesses. Allez ; faites pénitence, et redevenez citoyens.

Et les rubans ! — ils sont si légers, si jolis, grâce pour eux. — Les rubans ! pourquoi les épargner ? À quoi donc servent-ils ? Ils n’attachent rien, ni les cheveux ni la robe. Ce ne sont que des ornements, et nous n’admettons plus d’ornements. L’utile, rien que l’utile, c’est notre loi ; l’utile seul est aujourd’hui l’agréable ; nous voulons être vêtus, et non parés. Quel besoin, mesdames, avez-vous de porter des rubans ? Pour vous tenir chaud ? Non ; eh bien, renoncez aux rubans et rendez à la liberté ces milliers de bras qui se fatiguent à Saint-Étienne pour contenter vos caprices ; laissez ces braves ouvriers s’occuper des affaires politiques. Pourquoi passeraient-ils des journées entières à travailler ? Vous prétendez que c’est pour nourrir leurs femmes et leurs enfants, vain prétexte ; c’est pour vous seules qu’ils travaillent, et c’est pour vous fabriquer des pompons, des choux, des fontanges, des parfait-contentement, fantaisies charmantes auxquelles votre incon-