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LETTRES PARISIENNES (1838).

chevaux s’exercent au combat sur l’immense pelouse, ou dans les admirables allées de la forêt ; les grooms, les jockeys, les entraîneurs, ont déjà fondé un club, qui cette fois sera le véritable Jockey-Club. Chantilly a dans ce moment un aspect anglais qui fait battre le cœur de tous nos sportsmen. Quelques-uns s’y sont établis d’avance, et assistent régulièrement aux exercices de préparation ; ils interrogent adroitement les jockeys pour surprendre le secret de leurs espérances. La suprême élégance est de louer une maison à Chantilly pour le temps des courses, d’y envoyer ses gens de bouche et d’office, son argenterie, des tapis, des meubles confortables, d’y improviser ainsi pendant quelques heures tout le luxe de Paris. Le prix des maisons est exorbitant, et cinq ou six jours de location rapportent aux propriétaires habitants de Chantilly plus que deux années de loyer, sans compter que cette vision fantastique qui les éblouit dans ces jours de royales fêtes défraye leur conversation pour tout le reste de l’année, et leur épargne au moins un voyage à Paris. Pourquoi viendraient-ils voir la capitale, quand la capitale elle-même, dans ses plus belles parures, va les visiter ?

L’événement de la semaine est le magnifique discours de M. de Lamartine ; l’effet qu’il produit est immense ; la rage des journaux en constate naïvement le succès. Les paroles du courageux orateur sont si justes, qu’on est forcé de les travestir pour les attaquer ; alors on se met en grands frais de colère pour répondre à ce qu’il n’a pas dit. M. de Lamartine ne veut pas plus que nous la destruction du journalisme, il veut son équitable organisation ; ce ne sont pas les journalistes que nous voulons persécuter, ce sont les abonnés que nous voulons instruire ; oui, nous rêvons la régénération de la presse par l’initiation des abonnés.

Il y a, depuis quelque temps, à Paris un jeune Abyssin que M. d’Abadie a ramené d’Afrique. Ce pauvre enfant, ébloui des prodiges de notre prétendue civilisation, passe ses jours dans des terreurs imaginaires qui font pitié ; il ne comprend rien, ne s’explique rien, et tout l’effraye. Chaque merveille lui semble l’œuvre du démon. M. d’Abadie l’a mené voir les Pilules du diable ; l’épreuve était un peu forte, il faut en con-