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LETTRES PARISIENNES (1836).

Les modes commencent à se dessiner ; les femmes qui portent des robes de couleur se dépêchent d’adopter le vert, pendant que les légitimistes sont en noir. Nous avons vu une robe de bal en satin et crêpe vert-pomme, d’un effet charmant ; les manches étaient ornées de petites fleurs roses et blanches.

De fort jolies femmes ont mis à la mode les capotes ouatées et piquées, et c’est un grand tort. Voilà toutes les autres femmes qui ont imaginé de mettre leur couvre-pied sur leur tête pour leur ressembler. D’autres ont été plus ingénieuses ; elles se sont rappelé la douillette piquée et ouatée de leur grand-père, académicien, musicien ou pharmacien, helléniste, botaniste ou économiste, et elles se sont fait de ce débris scientifique une capote à la mode. Ce n’est pas tout ; elles ont posé deux plumes là-dessus : or ces capotes {d’origine allemande), qui ne sont gracieuses que comme négligé, qui sont fort convenables en convalescence et en voyage, sont du plus mauvais goût offertes comme parure. Heureusement deux grosses femmes de notre connaissance viennent d’adopter cette mode. Ce ne sera pas long ; à ces femmes-là, rien ne résiste.

On a toujours reproché à la cour des Tuileries son grand amour des étrangers : cette tendresse semble s’augmenter chaque jour. Ce qu’il faut pour être bien traité au château, ce n’est pas un grand mérite, une grande réputation, ni même un grand nom français ; c’est un accent étranger quelconque : l’accent anglais surtout est un merveilleux talisman qui vous ouvre toutes les portes de la royale demeure. Nul n’est prophète en son pays, c’est une vérité reconnue ; mais on trouve que les étrangers sont trop vite prophètes à Paris. L’hospitalité doit être accordée avec dignité, et non offerte avec complaisance ; on ne se montre empressé que pour ceux dont on a besoin, et nous n’avons besoin de personne. Lord *** nous disait, il y a quelque temps : « J’ai dîné aujourd’hui aux Tuileries ; c’était un grand dîner d’étrangers. » Puis, il y a peu de jours, il nous, disait encore : « J’ai aussi dîné aujourd’hui aux Tuileries ; il y avait un grand dîner d’étrangers. » Comme tout le monde s’est mis à rire, il a bien fallu lui expliquer pourquoi l’on riait, et lui dire que chaque fois qu’il y avait un grand dîner chez le roi, c’était un grand dîner d’étrangers ; qu’on