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LE VICOMTE DE LAUNAY.

coup de préjugés et répond à beaucoup de mensonges, — parût aux yeux des légitimistes une grande imprudence politique. Les gens passionnés ne comprennent jamais ce qui est habile ; il faut dire comme eux, tout à fait comme eux, sous peine de blasphèmes ; ils ne sentent pas que, pour se faire entendre de ses adversaires, il faut parler leur langage. En politique comme en religion, il s’agit bien moins d’édifier les dévots que de convertir les incrédules. — Ceci est une observation profonde qu’il ne faut pas prendre pour une plaisanterie.

Une chose qui aide encore le livre de M. de la Rochefoucauld à jeter le trouble dans la société, c’est qu’on y trouve l’éloge de presque tout le monde. Remarquez bien ce presque, il n’est pas indifférent. Nous avons expliqué naguère le danger des éloges, et l’inconvénient qu’ils ont de mécontenter ceux-là mêmes qu’ils veulent flatter. Ainsi vous dites : « Madame une telle, si douce, si vertueuse ; madame une telle, si jolie, si spirituelle ; » la première se fâche et dit : « On me nomme douce et vertueuse… je suis donc laide et sotte ! » la seconde s’inquiète et dit : « On me désigne comme spirituelle et jolie… je suis donc méchante et compromise ! » On ne loue jamais bien une femme quand on en loue deux. Les louanges se détruisent mutuellement : il n’y a qu’un seul moyen de faire un bel éloge d’une femme… c’est de dire beaucoup de mal de sa rivale.

Les plaisirs de la saison consistent à courir les concerts. On va chez Musard, au Chalet, au Casino, dont les cygnes se sont, dit-on, changés en pélicans, au grand étonnement des promeneurs. Singulière idée ! se servir de l’oiseau du désert pour attirer la foule. — Rapprochement ingénieux.

Aux Champs-Élysées, les jeux sont très-variés : il y a des sauteurs, des faiseurs de tours, des chanteuses voilées et des arracheurs de dents. Le cri des victimes se mêle au chant des virtuoses. Un dentiste fameux attire surtout les flâneurs ; il arrache les deux premières dents gratis, on ne paye qu’à la troisième ; mais le perfide, de gré ou de force, n’en arrache jamais moins de trois. Il est vrai qu’il s’écrie : « Je n’arrache pas les dents, je les cueille ! »

Voici les plaisirs d’été. Nous avons maintenant, selon