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LE VICOMTE DE LAUNAY.

Il ne faut point vous faire illusion, braves Cincinnatus des bords du Rhin, des rives du Rhône et de la Loire, on vous exploite avec des mots superbes, on vous nourrit de droits politiques, de réforme électorale ; on vous montre dans l’avenir un âge d’or d’égalité ; et ce n’est rien de tout cela qu’on vous prépare ; les républicains de 1839 sont fils des libéraux de 1829. Ces intraitables libéraux, il vous en souvient, combattaient pour la liberté individuelle, pour la liberté de la presse, pour la liberté de la tribune… Et ils ont mis Paris en état de siège, et ils ont demandé les lois de septembre, et ils ont recommencé, en la voilant de lâcheté, l’exclusion de Manuel ! Les farouches républicains combattent aujourd’hui pour l’égalité et pour la souveraineté du peuple, et les voilà déjà qui se logent comme des marquis dans le velours et dans la soie, et qui payent leurs tailleurs et leurs tapissiers avec des coups de pied d’Opéra ! Les libéraux devenus ministres ont des chasseurs ! Encore un peu de temps, et les républicains auront des pages.

Hélas ! nous autres, nous ne verrons point ce beau jour, car avant d’arriver à ce magnifique résultat, il y aura bien du sang répandu, et c’est une pensée amère que celle-ci : Trente-trois millions d’hommes vivent dans le doute et dans la crainte pour l’ambition de quelques-uns ; l’avenir d’un grand peuple est compromis parce qu’il y a dans son sein dix mille paresseux qui veulent être riches. Oh ! le luxe est une belle chose, mais il faut pour cela qu’il soit véritablement le luxe, c’est-à-dire qu’il ne demande aucun effort. Ayez des chevaux tant que vous pourrez en avoir sans remords et sans préoccupation ; mais si dans une année de revers vous vous apercevez qu’ils sont chers à nourrir, vendez-les vite, afin de les racheter plus tôt. Si nous blâmons cette passion du luxe qui s’est manifestée depuis quelque temps à Paris, c’est qu’elle est précisément la passion des gens qui n’ont point de fortune. Les capitalistes sont ceux qui l’éprouvent le moins, et c’est parmi les pauvres qu’elle exerce ses ravages. N’est-ce pas un des effets bizarres de l’esprit de contradiction, qu’on ne sente le plaisir d’avoir le superflu que lorsqu’on manque du nécessaire ? À Paris, les millionnaires sont fort tristes : une seule chose les fait rire,