Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/422

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
416
LE VICOMTE DE LAUNAY.

— Ah ! monsieur, je ne pensais guère à chercher leurs ridicules. Cette pauvre Stéphanie est si malheureuse, que je ne songeais qu’à la consoler.

— Madame de Montbert est malheureuse ! quel chagrin a-t-elle donc ?

— Quoi ! vous ne savez pas cela ? Elle devait épouser Adolphe, le fils aîné du général G… ; elle l’aimait à la folie ; mais sa mère s’est opposée à ce mariage, et l’a forcée à épouser Armand, qu’elle déteste. Armand a su par Frédéric que Stéphanie aimait Adolphe ; il a chargé Ferdinand de les espionner, et, par malheur, une lettre d’Adolphe à Stéphanie est tombée dans les mains de ce maudit Ferdinand. Je crois, moi, que c’est Caroline qui lui a envoyé cette lettre. Ferdinand a donné la lettre à Armand, qui a fait une scène épouvantable à Stéphanie, et lui a défendu de jamais revoir Adolphe. C’étaient des larmes, des cris !… Ah ! nous avons passé un été bien triste !

— J’en conviens, vous valez mieux que nous, madame : dénoncer les ridicules de ses amis, c’est affreux ; mais trahir leurs secrets, c’est très-charitable. »

La morale de tout ceci est qu’on est bien fou de se gêner pour recevoir à la campagne des importuns qui ne trouvent souvent chez vous que le plaisir de s’amuser à vos dépens ; qu’il ne faut admettre dans la vie intime que les amis que l’on connaît depuis longtemps et sur qui l’on peut compter. Pour nous, en écoutant de tels récits, nous nous réjouissions sincèrement d’avoir refusé les agréables invitations qui nous ont été faites ; il est cruel d’aller s’enfermer un mois chez des amis pour découvrir qu’ils sont beaucoup moins aimables qu’on le croyait ; qu’ils ont toutes sortes de manies, de prétentions, de défauts ; qu’ils sont avares, qu’ils sont vaniteux, et surtout qu’ils sont ennuyeux. Il vaut mieux passer l’été à Paris et garder ses illusions ; la santé y perd, mais l’amitié y gagne, et elle mérite bien qu’on lui fasse un tel sacrifice. Les amis qui peuvent supporter l’épreuve de la campagne sont si rares, et ceux qui la supportent avec avantage sont si dangereux ! Après trois mois de solitude dans un château, il faut se haïr ou s’aimer. C’est à Paris seulement qu’on peut résoudre ce