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LE VICOMTE DE LAUNAY.

faisais le canon, mon cher ; j’ai eu assez de mal ; c’est très-difficile de bien faire le canon. » À cette réponse, nous sommes parti d’un naïf éclat de rire, et nous nous sommes rappelé ce brave homme qui, un jour, rencontrant Garrick, l’appelait cher camarade avec une tendre familiarité. « Je ne vous connais pas, lui dit Garrick. — Eh ! nous avons pourtant joué bien des fois ensemble. — Je ne m’en souviens pas ; quel rôle faisiez-vous donc ? — C’est moi qui faisais le coq dans Hamlet. » Semblable à cet excellent homme qui, pour avoir imité le chant du coq dans la coulisse, se disait camarade de Garrick, notre imitateur de canon se croit sincèrement un des acteurs du théâtre de M. de Castellane. Qu’il nous pardonne de le désabuser !

Nous venons de parcourir les deux derniers volumes des Mémoires de M. le vicomte de la Rochefoucauld, et l’intérêt que nous y avons trouvé nous explique la vogue qu’ils ont, malgré les préventions de partis et les malveillances d’amitiés. Cette lecture attachante nous a pourtant laissé une impression pénible ; tant d’avis généreux inutiles, tant de bons conseils perdus, un roi qui veut le bien et qui vit si saintement dans l’erreur, une voix sincère que l’on n’écoute pas, des yeux amis qui regardent le malheur venir et qui ne peuvent le faire entrevoir à ceux-là mêmes qu’il menace ; des fautes implacables que l’on s’efforce d’empêcher ; des dangers inutiles que l’on veut en vain prévenir ; une fatalité qui décourage, ou plutôt une prédestination qui entraîne, tout cela fait rêver, on se rappelle et l’on compare, et l’on se dit avec amertume que peut-être à cette heure comme alors une voix prudente aussi s’élève pour donner les mêmes avis, hélas ! avec le même courage et la même inutilité.

Oh ! lisez dans le quatrième volume les deux lettres de madame la duchesse d’Angoulême à madame C…, et la relation de sa sortie du Temple. Rien de plus noble, de plus attendrissant, de plus simplement royal. Pauvre fille de Louis XVI ! qu’elle est touchante, qu’elle est belle, lorsqu’on lui apprend enfin ce que sa mère, sa tante et son frère sont devenus ! Quel que soit le parti auquel on prétend appartenir, il est impossible de lire ces vingt pages sans émotion. Nous avons été moins