avait chez M. Véron un dîner de célébrités (on ne mangeait pas les célébrités). Parmi les convives se trouvaient MM. Scribe, Auber et Halévy. Le dîner ne fut pas froid et la conversation ne fut pas silencieuse. On dîna bien et l’on causa beaucoup. Dans la soirée on parla de l’opéra que vient d’achever M. Auber, et l’on pria le brillant compositeur de vouloir bien jouer quelques airs de sa nouvelle partition. M. Auber se mit au piano et joua une marche très-belle que tout le monde applaudit ; puis on causa d’autre chose.
Au bout de quelque temps ; un des convives s’approchant de M. Halévy, lui demande de jouer aussi un morceau de son nouvel opéra ; M. Halévy y consent de très-bonne grâce, il se met au piano ; mais au lieu de jouer un air de lui, il répète, par un tour de mémoire incroyable, la belle marche que M. Auber venait de jouer une heure auparavant pour la première fois. « C’est merveilleux ! s’écrie tout l’auditoire. Il a retenu l’air, note pour note, sans y rien changer. — Si, reprend alors M. Auber, il a fait plusieurs changements très-heureux dont je profiterai. » Deux femmes n’auraient pas plus de coquetterie, entre elles surtout !
N’oubliez pas que c’est lundi prochain que doit avoir lieu, dans la salle de Herz, le concert de la Société des Amis de l’enfance. Le monde élégant s’y est donné rendez-vous, car il faut rendre justice à ce monde frivole, toutes ces belles institutions de charité et de morale sont fondées par lui. On a tort de médire du bonheur et de la gaieté ; cela rend si bon de s’amuser, et les cœurs tristes sont si cruels !
Un peu de littérature maintenant.
Le roman du jour, c’est le Commandeur de Malte, par M. Eugène Sue. Voilà un roman amusant ; il y a dans ce drame étrange de l’intérêt, de l’effroi, du comique, du merveilleux à tout moment. Il y a un pigeon qui porte une lettre, et un aigle apprivoisé qui dévore la correspondance et le messager ; puis un greffier que l’on mystifie de la manière la plus plaisante ; puis une jeune fille nommée Stéphanette dont la naïveté maligne est charmante : c’est la coquetterie de l’âge d’or ; puis un jeune homme, né bon et généreux, dont, par une horrible vengeance, on a fait un méchant malgré lui,