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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/167

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LETTRES PARISIENNES (1841).

regarder. On oublie ses yeux ; la vue, la sublime vue semble un don inutile ; on comprend la gaieté de ceux qui en sont privés, on ne les plaint plus ; cette nuit mélodieuse et embaumée vaut bien le jour. Mais une clarté subite vous réveille ; un météore inexplicable vous éblouit ; et, saisi d’étonnement, immobile d’admiration, vous vous arrêtez devant une merveille dont la beauté ne saurait se dépeindre, devant un monument idéal, un château enchanté qu’on osé à peine définir par cette simple image :

Un palais de lumière habité par des fleurs.


Oui, les fleurs de toutes les sortes, de toutes les familles, de tous les pays, fleurs sauvages, fleurs perfectionnées, fleurs champêtres et fleurs parisiennes, venues en foule, avaient envahi cette belle demeure et s’y étaient installées partout indiscrètement ; il n’y avait plus ni meubles, ni tables, ni cheminées ; ces choses utiles n’étaient plus que des occasions de fleurs. Dans l’angle de la salle de bal, ces envahissantes fleurs s’élevaient en pyramides, sous prétexte de cacher les immenses pieds des candélabres qui étaient fort beaux et qui n’avaient nullement besoin d’être cachés. Dans l’embrasure des fenêtres, ces mêmes fleurs insolentes s’étalaient dans de riches corbeilles, sous prétexte de faire point de vue, comme si l’aspect du jardin tout illuminé ne suffisait pas pour charmer les yeux. Derrière les canapés, toujours ces mêmes fleurs se dressaient sur leurs hautes tiges, avec la prétendue intention d’ombrager les causeurs, mais dans le fait pour écouter ce qu’on disait. Elles se pressaient dans l’âtre et s’étendaient tout le long du marbre des cheminées ; elles en avaient chassé les vases de Chine et de Sèvres pour être plus libres, plus nombreuses, et pour se mirer dans les glaces de plus près. De tous les guéridons elles avaient fait des jardinières, de tous les lambris elles avaient fait des espaliers ; elles grimpaient sur les murs du salon, elles descendaient sur les marches des perrons ; on ne pouvait faire un pas, on ne pouvait faire un geste sans rencontrer l’une d’elles. Enfin, sur la table du souper même, elles avaient trouvé moyen de se faire servir dans des plats énormes, pour nuire aux mets et aux fruits par leur éclat présomptueux