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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/180

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LE VICOMTE DE LAUNAY.


Les bornes des esprits sont leurs seules frontières ;
Le monde, en s’éclairant s’élève à l’unité.
Ma patrie est partout où rayonne la France,
Où sa langue répand ses décrets obéis !
Chacun est du climat de son intelligence.
Je suis concitoyen de toute âme qui pense ;
La vérité, c’est mon pays.

M. Alfred de Musset était assis dans un coin du salon.. « Moi, dit-il, voilà les vers que j’aime le mieux ; » et il récita par cœur cette strophe magnifique :

Amis, voyez là-bas ! la terre est grande et plane !
L’Orient, délaissé, s’y déroule au soleil !
L’espace y lasse en vain la lente caravane,
La solitude y dort son immense sommeil !
Là, des peuples taris ont laissé leurs lits vides ;
Là, d’empires poudreux les sillons sont couverts ;
Là, comme un stylet d’or, l’ombre des Pyramides
Mesure l’heure morte à des sables livides
Sur le cadran nu des déserts !

Chacun s’écria : « C’est superbe ! — J’aime bien aussi les derniers vers, » dit madame de G… ; et prenant la Revue des Deux-Mondes, elle lut cette fin :

Roule libre à ces mers où va mourir l’Euphrate,
Des artères du globe enlace le réseau,
Rends l’herbe et la toison à cette glèbe ingrate,
Que l’homme soit un peuple et les fleuves une eau !


Débordement armé des nations trop pleines
Au souffle de l’aurore envolés les premiers,
Jetons les blonds essaims des familles humaines
Autour des nœuds du cèdre et du tronc des palmiers !
Allons comme Joseph, comme ses onze frères,
Vers les limons du Nil que labourait Apis,
Trouvant de leurs sillons les moissons trop légères,
S’en allèrent jadis aux terres étrangères
Et revinrent courbés d’épis.

Roule libre et descends des Alpes étoilées
L’arbre pyramidal pour nous tailler nos mâts,
Et le chanvre et le lin de tes grasses vallées ;
Tes sapins sont des ponts qui joignent les climats !