Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
220
LE VICOMTE DE LAUNAY.

jouera le mois prochain ; et ce sont de grandes discussions sur la manière dont elle doit prendre le rôle. « Il faut, disent les littérateurs classiques, que ce soit bien la Phèdre de Racine, celle que M. de Chateaubriand appelle l’épouse chrétienne ; car sa douleur sublime, sa bonté, ses remords, sont tout chrétiens. » Là-dessus nous nous révoltons et nous crions à notre tour : « Ils sont païens ! » On nous répond : « La Phèdre antique n’était pas si repentante ; Euripide lui prête des sentiments moins délicats. La Phèdre du siècle de Louis XIV représente les idées de son temps ; ses scrupules lui viennent de son père Racine. » — Ô blasphème ! ses scrupules lui viennent de son grand-père Apollon, le dieu jaloux, le dieu vengeur, le plus implacable des dieux ! Ils lui viennent de ses grand’tantes, mesdemoiselles les Muses, vieilles filles collet monté s’il en fut jamais, sottes bas bleus d’une pruderie insupportable, qui ne pouvaient pardonner à leur petite-nièce de s’être amourachée d’un mauvais chasseur dont l’éducation avait été si peu littéraire. Voilà pourquoi Phèdre devait avoir plus de remords que les simples femmes de son temps. La Phèdre de Racine est un mythe que vous n’avez pas encore compris : c’est la pythonisse amoureuse, c’est l’âme intelligente et divine luttant contre l’instinct brutal ; c’est le feu sacré d’Apollon luttant contre le feu profane de Vénus. Or, pour bien saisir ce rôle, selon nous, il faut être poétique, éminemment poétique, et ne point chercher dans ces vers lyriques des effets de prose et des inflexions de comédie ; il faut que l’on se rappelle à chaque mot, à chaque soupir, à chaque regard, que Phèdre est la petite-fille d’Apollon.

En attendant Phèdre, on répète à force, au Théâtre-Français, le drame de M. Victor Hugo, les Burgraves ; on annonce la première représentation pour le 15 janvier. — Déjà ! — De si beaux vers s’apprennent si facilement ! Les personnages de ce drame sont, dit-on, gigantesques, les beautés de l’ouvrage sont homériques… Tels sont les mots qu’on emploie pour parler de cette nouveauté, et ces mots ne surprennent personne. Voilà qui est flatteur !

Le monde élégant est encore très-calme : point de bals, point de concerts. Quelques routs bien solennels à l’ambassade d’Au-