puis il faut remercier la Providence qui nous a fait une patrie si naturellement belle et puissante, qu’elle peut être impunément confiante et généreuse. Elle, ce n’est pas une coquette ni un banquier ; c’est une noble châtelaine qui possède de grands domaines et de nombreux vassaux, des forêts immenses, des fleuves superbes, des champs fertiles, des coteaux merveilleux ; elle est riche et sa fortune est bien à elle ; elle n’aurait pas besoin de l’Océan pour vivre, et cependant elle a deux océans ; elle ne fait qu’une seule et même nation, et cependant elle a deux peuples, elle a deux climats, elle a deux natures : elle a des chênes et des bruyères au nord, elle a des orangers et des aloès au midi ; elle a de sages penseurs aux cheveux blonds, elle a de bouillants orateurs aux yeux noirs ; elle est si riche, qu’elle se laisse voler par ses intendants deux années de ses revenus et qu’il n’y paraît rien ; elle est si riche, qu’elle peut sans s’appauvrir se passer des fantaisies d’héroïsme et se donner le luxe des belles actions ; elle est si profondément puissante, qu’elle peut être capricieuse et oisive, et perdre un ou deux siècles de son temps à rêvasser sur des idées. Mais il ne faut pas que cette noble dame soit trop fière de son noble sort, et qu’elle devienne injuste envers les autres nations qui sont forcées de travailler pour vivre et de faire parfois de fort vilains métiers ; il ne faut pas qu’elle parle trop de sa grandeur d’âme et de sa sensibilité, car sa magnanimité n’est que de la force, sa facile générosité n’est que du bonheur.
À propos d’Angleterre et de haine anglaise, on nous contait un mot charmant de M. de Montrond. C’était à l’époque de la guerre entre la France et l’Angleterre. Il se trouvait seul de sa nation à un grand dîner chez un diplomate allemand, où se trouvait aussi un officier anglais. — « Oh !… moâ, disait celui-ci, je déteste le France et toute les Français sans exceptione ! » Et, disant cela, il attachait sur M. de Montrond un regard lourdement significatif. « Eh bien, moi, je suis tout le contraire, reprit M. de Montrond ; j’aime beaucoup l’Angleterre et les Anglais, mais je fais des exceptions. »
— Sans doute l’officier s’est fâché ? — Non, il n’a compris que le surlendemain, et M. de Montrond était déjà parti.
On parle beaucoup de Phèdre, que mademoiselle Rachel