LETTRE SIXIÈME.
Après les jours de jeûne, d’humilité et de pénitence, Paris s’est relevé plus fier et plus brillant que jamais. Le printemps l’enivre, il se pavane au soleil, il fait de la boue avec la poussière, il est content ; car, pour cette ville d’élégance perfectionnée et de luxe merveilleux, il n’y a que deux saisons : celle où la boue est involontaire, c’est la mauvaise saison ; celle où la boue est volontaire, c’est la belle saison.
Et le jeune Paris se promène sur ses boulevards consciencieusement arrosés ; et quand il a joyeusement passé toute sa journée à se promener sans but comme un rentier, il s’en va dans quelque beau café doré passer toute sa soirée et toute sa nuit à manger comme un ogre ou comme une garde-malade, à boire comme un templier ou comme une gouvernante anglaise, à jouer comme un vieux diplomate et à fumer comme un poêle.
Telle est l’existence d’un jeune Parisien qui se respecte. Le grand poëte a dit :
Aimer, prier, chanter, voilà toute ma vie.
Le brillant Parisien traduit à sa façon ce vers ravissant :
Fumer, jouer, manger, voilà toute ma vie.
Et ce n’est pas avec insouciance et par étourderie qu’il mène
cette vie-là : chez un peuple atteint de constitutionnalité, tout
est sérieux, et particulièrement le plaisir ; on n’y traite rien
avec légèreté. Pour le jeune Parisien, fumer n’est pas un
délassement, c’est un travail ; jouer n’est pas une passion,
c’est une affaire ; manger n’est pas un plaisir, c’est une science.
Il mange par principes et avec méthode ; il médite le matin le
dîner qu’il doit manger et juger le soir. À vingt ans, il est déjà
un grand connaisseur en l’art culinaire ; il méprise déjà le
vol-au-vent paternel et la charlotte de famille ; présomptueux
enfant, il ne sait rien encore des choses de la vie… ; profond