tent toujours avec eux — et c’est un riche bagage — la volonté, la patience et l’ardeur… Et remarquez bien qu’ils ne les apportent pas pour eux seuls, ces provisions merveilleuses ; ils sont généreux, ils les partagent bravement avec leurs ennemis dans la lutte : ce sont de hardis champions qui donnent du courage à leurs adversaires les plus timides, qui réveillent de leur froid sommeil tous leurs indolents rivaux. Dès qu’ils paraissent, la société engourdie se ranime. Jadis, ils ont combattu la religion par la religion, et ce fut un combat glorieux ; ensuite, ils ont combattu par la religion la philosophie, et ce fut encore un glorieux combat ; la religion et la philosophie revivaient puissantes pendant ces luttes ; mais les philosophes triomphèrent, les jésuites tombèrent vaincus : et de cette chute et de ce triomphe il résulta ceci, qu’il n’y eut bientôt plus en France ni religion ni philosophie. N’avons-nous pas raison de dire que les triomphes définitifs sont mortels et qu’il faut lutter pour vivre ?
En littérature, on a vu naguère le même phénomène se renouveler. La lutte existait, implacable et terrible, entre les classiques et les romantiques ; cette lutte intéressait tous les esprits. La France était divisée en deux partis rivaux, également vaillants, également acharnés ; et la littérature grandissait pendant cette lutte. Par malheur, les romantiques triomphèrent… les classiques furent vaincus ; et de ce triomphe et de cette chute il résulta encore ceci, qu’il n’y eut bientôt plus de littérature.
Eh bien, ce phénomène se reproduit de nos jours en politique, et personne ne veut voir le danger. Autrefois, deux principes se disputaient le pouvoir en France : le principe aristocratique et le principe démocratique ; chacun triomphait tour à tour ; ils changeaient de nom, de camp, de bannière, mais ils luttaient constamment. Tantôt, l’idée démocratique se réfugiait sur le trône : le roi se faisait peuple, et la guerre était déclarée entre la monarchie et les grands vassaux ; tantôt, elle se fortifiait dans le temple, et la guerre était proclamée entre les catholiques et les huguenots. Puis vinrent les républicains et les royalistes ; puis vinrent les ultras et les libéraux, les conservateurs et les radicaux, et la lutte continuait toujours.