LETTRE DIX-NEUVIÈME..
Nous voilà revenus aux jours heureux du moyen âge, alors que les rues étaient désertes et sombres, et qu’on n’osait sortir après le couvre-feu que bien armé de sa bonne dague de Tolède, que bien escorté par ses fidèles estafiers. On n’entend parler depuis un mois que d’attaques nocturnes, de guet-apens, de vols audacieux. La civilisation semble n’avoir eu d’autre résultat que de rendre les malfaiteurs plus habiles, les crimes plus ingénieux ; c’est là qu’est le véritable progrès, le perfectionnement incontestable. Quelqu’un disait un jour : « Pourquoi n’y aurait-il pas des bandes d’honnêtes gens comme il y a des bandes de voleurs ? Qu’est-ce qui empêche donc les honnêtes gens de se mettre d’accord ? — C’est la conscience, répondit un philosophe ; rien ne serait plus varié que cette collection de consciences ; le bien est moins absolu que le mal ; il y aurait des discussions interminables. »
Ce qu’il y a d’effrayant dans ces attaques nocturnes, c’est la noble impartialité des assaillants : ils frappent également le riche et le pauvre ; ils fouillent indifféremment les beaux habits et les vieux habits ; que vous ayez quelque chose ou que vous n’ayez rien, ce n’est qu’une chance plus ou moins heureuse ; ils vous tuent d’abord, quitte à se tromper, et ils s’inquiètent peu de leur erreur. Cette égalité devant le meurtre est un bienfait de la civilisation qui dépasse tous les rêves humanitaires. Mais quoi de plus affreux ! Vivre dans l’indigence et mourir comme un Mondor ; être tout le jour poursuivi par ses créanciers, et ne trouver de crédit que le soir, chez ses assassins, c’est cruel. Autrefois, la misère avait au moins un privilège, la sécurité ; elle ne le possède plus. N’avoir rien, ce n’est plus une garantie contre la cupidité des hommes.
Paris est assez troublé par ces aventures sinistres, les réunions de famille surtout se ressentent désagréablement de ces préoccupations défensives. Chaque soirée intime finit, comme le