quatrième acte des Huguenots commence, par la bénédiction des poignards. On ne laisse sortir de chez soi ses parents, ses amis, qu’après avoir visité leurs armes, et c’est alors une exhibition effrayante de poignards, de cannes à épée, de couteaux, de stylets ; l’élégant salon se métamorphose aussitôt en une boutique d’armurier. Ces objets aimables se posent sur la table à côté des paniers à ouvrage, des boîtes à filet ; ils s’accrochent, s’enlacent dans les tricots ébouriffés, ils s’enfoncent dans les pelotes de laine ; chacun fait valoir son adresse et vante sa présence d’esprit ; on s’essaye à la lutte, on joue, on rit ; c’est gai, c’est charmant ; ce qui n’empêche pas que cela ne soit triste et révoltant. À quoi donc nous sert-il d’habiter un endroit où l’on nous fait payer le sol, l’espace, l’eau, l’air, le jour !… si ce n’est pas même pour y trouver les avantages qu’on trouve dans une prison ? Là, si on n’est pas libre, du moins on est gardé.
Le danger d’être tué par des brigands citadins n’est pas le seul qui vous menace ; il y en a un autre plus terrible encore : c’est d’être tué par vos amis. Après huit heures du soir, tout homme qui marche derrière vous est suspect ; vous écoutez le bruit de ses pas avec effroi, vous saisissez votre arme, et, bravement, vous vous arrêtez pour le laisser passer ; mais à peine est-il passé devant vous que la situation change : c’est vous-même qui lui devenez suspect. Il s’arme comme vous, il imite votre manœuvre : il s’arrête, et vous passez devant lui à votre tour. Ce manège se continue de la sorte jusqu’à ce que vous arriviez à votre demeure ; là, nouvelle crainte : l’homme qui vous suit cesse de marcher en même temps que vous ; il va tenter un coup désespéré ; vous saisissez le bouton de la sonnette, et vous vous retournez brusquement pour faire face à l’ennemi en lui montrant, aux lueurs du réverbère, votre poignard ou votre épée ; mais l’ennemi s’écrie : « Ah ! c’est lui ! » Vous répondez : « Eh ! c’est toi ! — Tu m’as pris pour un voleur ? — Oui ; mais aussi pourquoi me suivais-tu ? — Je ne te suivais pas ; j’allais chez toi pour te demander si tu veux venir souper avec nous, et tu me reçois à coups de poignard ! — Mais il me semble que toi-même tu avais préparé pour moi un petit stylet fort gentil ! — Je ne te reconnaissais pas du tout ; tu es