affreux avec ce cache-nez écossais. Quel bonheur que nous soyons un peu braves ! À notre place, deux poltrons auraient perdu la tête et se seraient tués tous les deux… » Et chacun raconte une aventure de cette espèce, une véritable peur ou une fausse peur. Un grand jeune homme traversait l’autre soir, vers minuit, la rue Royale ; il s’aperçoit qu’un homme traverse la rue en même temps que lui, il prend par la place Louis XV et marche le long des fontaines. L’homme, qui était assez mal mis et qui s’enveloppait dans un manteau sombre en affectant des airs frileux, prend le même chemin et semble marcher sur ses traces et dans son ombre, ou plutôt dans ses ombres, car il y a des moments où sur la place Louis XV et dans les Champs-Élysées on a deux ombres ; le jeune homme inquiet presse le pas, il gagne le pont de la Concorde, l’homme au manteau sombre le suit encore ; le jeune homme s’en va le long du quai d’Orsay, l’homme au manteau le suit toujours. Le jeune homme traverse la chaussée et se dirige vers la rue de Poitiers ; l’homme au manteau traverse de même la chaussée et se dirige de même vers la rue de Poitiers. Enfin le jeune homme, impatient, se retourne et, levant sa canne, il dit d’une voix ferme : « Pourquoi me suivez-vous, monsieur ? — Parce que je meurs de peur, répond le malheureux d’une voix tremblante ; je me sens très-faible, et j’espère que, si on m’attaquait, vous voudriez bien me défendre, vous, monsieur, qui êtes si fort. » Le jeune homme se mit à rire. « En effet, dit-il, vous êtes tout tremblant. — Ah ! monsieur, je viens d’avoir les fièvres, c’est ma première sortie ; on appelle ça une convalescence ! je me soutiens à peine, je ne sais pas comment je pourrai me traîner jusque chez moi. — De quel côté allez-vous ? — Par là. — Ce n’est plus mon chemin ; mais c’est égal, vous m’avez l’air d’un brave homme, je vais vous reconduire chez vous. » Et le jeune homme, en racontant cette histoire, se moquait plaisamment de lui-même. « Jamais je ne me pardonnerai, ajoutait-il, d’avoir eu si longtemps peur d’un poltron. »
Les jours où l’on va dans le grand monde avec prétentions, on a moins d’inquiétude, on est en voiture ; les voleurs, dit-on, respectent les voitures et les cochers, du moins jusqu’à présent.