un danger qui est un souvenir, pour l’une est un motif de sécurité ; pour une autre, précisément, c’est un motif de crainte invincible ; il y a des mères qui sont courageuses parce que leurs enfants sont là et qu’il s’agit de les protéger ; il y en a d’autres, au contraire, qui sont folles d’effroi parce que leurs enfants sont près d’elles, et que l’excès de leur tendresse leur fait perdre toute énergie, toute présence d’esprit. Madame de Galliera expliquait ce sentiment elle-même l’autre soir ; chacun vantait son admirable sang-froid, cette sollicitude à la fois calme et empressée avec laquelle elle commandait les secours et rassurait son monde. « Ce qui a fait mon courage, disait-elle, c’est que j’avais prié mes amies d’emmener vite mon fils ; lui en sûreté, j’étais sûre de moi ; mais j’avoue que si je l’avais su là et que le danger eût augmenté, j’aurais été une très-mauvaise maîtresse de maison ; je lui aurais dit de me sauver pour l’entraîner bien loin avec moi. » — En effet, un enfant de quatorze ans qui a pris la veille une leçon de gymnastique chez Amoros doit être difficile à garder dans un incendie. La bravoure des femmes est pleine de mystère. Il y a des jeunes filles qui ont peur des voleurs, des revenants, des crapauds, des souris, et qui se voient emporter par un cheval fougueux sans pâlir. Interrogez les femmes, elles vous feront toutes une réponse différente : « Moi, je n’ai pas peur des revenants, mais j’ai peur des voitures ; je reste une heure avant de me décider à traverser le boulevard, et quelquefois j’y renonce. — Moi, je n’ai pas peur des voitures ; je n’ai peur que des chemins de fer. — Moi, je n’ai peur que sur un balcon ; sur une montagne, j’ai le vertige. — Moi, j’ai peur des voleurs ; je ne pourrais pas dormir sans une lampe dans ma chambre. — Moi, je n’ai peur que des morts ; je ne peux pas traverser un cimetière sans frémir. — Moi, j’ai peur des fous. — Moi, des gens ivres qui chantent des chœurs. — Moi, des bœufs. — Moi, des chauves-souris. — Moi, des araignées. — Moi, des couleuvres. — Moi, des ennuyeux. — Et vous, madame, oh ! vous êtes calme, vous n’avez peur de rien ? — Moi ! si, j’ai peur des lâches. — Et moi, j’ai peur de tout ce que vous venez de nommer. — À la bonne heure, vous n’êtes pas une femme inconséquente, vous !
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LE VICOMTE DE LAUNAY.