Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
445
LETTRES PARISIENNES (1847).

ce serait nous perdre ; les Français ne seraient plus des Français ; par sa fatale influence, le sceptre des arts, des sciences, des lettres, le sceptre même de la mode, s’échapperaient de leurs mains ; et les étrangers qui viennent chercher parmi nous le plaisir, la gaieté, la vie, effrayés de notre respect prétentieusement morose et mesquinement solennel, nous fuiraient pour ne plus jamais revenir. L’extermination de cette race, vous le voyez, est une question de haute politique ; aidez-nous donc dans notre courageuse entreprise.

Ce qui distingue les femmes de cette espèce des autres femmes, c’est qu’elles n’ont pas du tout l’air de femmes ; elles ont l’air de poupées victorieuses qui ont obtenu le mouvement et la parole ; quelque chose de guindé et de grêle se trouve toujours dans leurs manières, dans leur tournure, malgré leur intention bien constatée de dignité et de grandeur ; ainsi elles sont toujours habillées très-richement, avec un luxe splendide ; eh bien, elles ne sont point parées ; elles sont pimpantes, rien de plus.

Il n’y a qu’un moyen de bien porter une belle robe : c’est d’oublier qu’on la porte. Avoir l’air trop heureuse et trop fière de ses vêtements, comme Lisette dans les Jeux de l’amour et du hasard, c’est très-maladroit ; c’est avouer qu’on ne s’attendait pas à l’honneur d’en être décorée ; c’est avouer aussi qu’on leur emprunte une partie de sa valeur et de sa gloire ; c’est proclamer un succès accidentel, imprévu, inespéré, sur lequel on ne comptait pas et qui peut échapper encore : le paon n’est si fier de son plumage que parce qu’il le perd tous les ans.

La monomanie de ces femmes est la noblesse des manières, et l’on ferait un volume de toutes les ruses qu’elles imaginent, de toutes les peines qu’elles se donnent pour acquérir cette majesté violente et factice ; mais là encore elles se trompent : elles croient avoir un air digne, elles ont un air officiel, et voilà tout. Une préoccupation continuelle les garde comme une sentinelle invisible ; elles sont toujours sur le qui-vive, redoutant également la parole inconvenante qu’elles pourraient entendre et celle qui pourrait bien leur échapper.

Sans être méchantes ni hostiles, elles sont toujours armées, armées d’épingles, ce qui est la plus terrible des armures.