Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/212

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qu’ils l’exploitent de la manière la plus éhontée. Écrivain isolé, je pourrais les combattre avec énergie ; mais, membre d’une association, je suis tenu à plus de prudence.

D’ailleurs, il faut avouer que les événements ne nous favorisent pas. Le jour même où sir Robert Peel a consommé le free-trade, il a demandé un crédit de 25 millions pour l’armée, comme pour proclamer qu’il n’avait pas foi dans son œuvre, et comme pour refouler dans notre bouche nos meilleurs arguments. Depuis, la politique de votre gouvernement est toujours empreinte d’un esprit de taquinerie qui irrite le peuple français et lui fait oublier ce qui pouvait lui rester d’impartialité. Ah ! si j’avais été ministre d’Agleterre ! à l’occasion de Cracovie, j’aurais dit : « Les traités de 1815 sont rompus. La France est libre ! l’Angleterre combattit le principe de la révolution française jusqu’à Waterloo. Aujourd’hui, elle a une autre politique, celle de la non-intervention dans toute son étendue. Que la France rentre dans ses droits, comme l’Angleterre dans une éternelle neutralité. » — Et joignant l’acte aux paroles, j’aurais licencié la moitié de l’armée et les trois quarts des marins. Mais je ne suis pas ministre.

Paris, 10 janvier 1847.

Mon cher ami, j’ai reçu presque en même temps vos deux lettres écrites de Marseille. Je vous approuve de n’avoir fait que passer dans cette ville ; car Dieu sait comment on aurait interprété un plus long séjour. Mon ami, l’obstacle qui nous viendra des préventions nationales est beaucoup plus grave et durera plus que vous ne paraissez le croire. Si les monopoleurs avaient excité l’anglophobie pour le besoin de la cause, cette manœuvre stratégique pourrait être aisément déjouée. En tout cas, la France, en bien peu de temps, découvrirait le piége. Mais ils exploitent un sentiment préexistant, qui a de profondes racines dans les