Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/27

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page. Vaine résistance à la destinée ! L’épée était sortie du fourreau pour n’y plus rentrer.

Au moins de février 1846, l’étincelle part de Bordeaux. Bastiat y organise l’association pour la liberté des échanges. De là il va à Paris, où s’agitaient, sans parvenir à se constituer, les éléments d’un noyau puissant par le nom, le rang et la fortune de ses principaux membres. Bastiat se trouve en face d’obstacles sans nombre. « Je perds tout mon temps, l’association marche à pas de tortue, » écrivait-il à M. Coudroy. À Cobden : « Je souffre de ma pauvreté ; si, au lieu de courir de l’un à l’autre à pied, crotté jusqu’au dos, pour n’en rencontrer qu’un ou deux par jour et n’obtenir que des réponses évasives ou dilatoires, je pouvais les réunir à ma table, dans un riche salon, que de difficultés seraient levées ! Ah ! ce n’est ni la tête ni le cœur qui me manquent ; mais je sens que cette superbe Babylone n’est pas ma place et qu’il faut que je me hâte de rentrer dans ma solitude… » Rien n’était plus original en effet que l’extérieur du nouvel agitateur. « Il n’avait pas eu encore le temps de prendre un tailleur et un chapelier parisiens, raconte M. de Molinari, — d’ailleurs il y songeait bien en vérité ! Avec ses cheveux longs et son petit chapeau, son ample redingote et son parapluie de famille, on l’aurait pris volontiers pour un bon paysan en train de visiter les merveilles de la capitale. Mais la physionomie de ce campagnard était malicieuse et spirituelle, son grand œil noir était lumineux, et son front taillé carrément portait l’empreinte de la pensée. Sancta simplicitas ! Qu’on ne s’y trompe pas, du reste : il n’y a rien d’actif comme ces solitaires lancés au milieu du grand monde, rien d’intrépide comme ces natures repliées et délicates, une fois qu’elles ont mis le res-