Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/509

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réaliser ces beaux rêves ; au lieu de faire dériver exclusivement le bonheur individuel d’une organisation inventée par un journaliste et imposée du dehors aux travailleurs, nous croyons qu’il dépend surtout des habitudes et des vertus des travailleurs eux-mêmes. Si les uns sont actifs et les autres paresseux ; s’il y a parmi eux des prodigues, des économes, des avares, des gens ordonnés et des gens débauchés ; si les uns se marient à seize ans, et sont chargés de famille à l’âge où les autres s’établissent, — nous ne voyons pas d’organisation qui puisse empêcher l’inégalité de s’introduire dans votre colonie.

S’il y a des hommes qui se livrent à des entreprises hasardeuses, des gens qui empruntent sans savoir comment ils pourront rendre, et d’autres qui prêtent sans savoir comment ils seront payés ; si la colonie est saisie, par exemple, de passions guerrières qui la mettent en hostilité avec le genre humain, — nous ne croyons pas que votre organisation la mette à l’abri de toute crise commerciale et politique.

Vous aurez beau nous dire que nous sommes fatalistes parce que nous croyons que le mal lui-même a sa mission, celle de réprimer le vice dont il est le produit ; oui, nous devons l’avouer, nous croyons à l’existence du mal. Nous n’y croyons pas seulement, nous le voyons ; et, au physique comme au moral, nous n’avons pas d’autre alternative à proposer à l’humanité que de l’éviter par la prévoyance ou de le subir par la douleur.

À moins donc que vous ne chargiez votre organisateur d’avoir de la prudence pour tout le monde, de l’ordre, de l’économie, de l’activité, des lumières et des vertus pour tout le monde, vous nous permettrez de continuer à croire que l’humanité ne peut être heureuse qu’autant que ces causes de bonheur soient en elle-même.

Et certes, si vous me permettez de supposer seulement