Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/518

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Quant à réfuter votre triste tableau de l’agriculture libre, vous vous en êtes chargé vous-même dans le paragraphe suivant.

« Troisièmement, c’est que le blé étant une des matières les plus encombrantes, il serait physiquement impossible au commerce d’importer et de distribuer dans tout l’empire les blés nécessaires à la consommation de la France. Des calculs faits en 1810, année de disette bien plus alarmante que celle-ci, révèlent en chiffres cette triste vérité : que tous les navires marchands de l’Europe, si, par impossible, ils étaient tous consacrés à importer des blés pour la France, ne pourraient en importer que pour une consommation de quinze ou dix-sept jours. Parlez donc de la liberté illimitée du commerce après cela ! »

Craignez donc la liberté illimitée après cela ! dirai-je à mon tour. Venez donc nous dire que l’étranger vendra son blé sur nos marchés pour une bagatelle, pour presque rien, pour rien peut-être ! Venez donc nous peindre tous les Français mourant de faim, les bras croisés, laissant leurs bœufs ruminer, leurs charrues se rouiller, leurs capitaux oisifs et leur terre en friche, comptant sur des blés étrangers qu’il est physiquement impossible d’importer !

Oh ! bénissons le ciel de ce que parmi nos 34 millions de compatriotes, il s’en soit trouvé un qui ait prévu tout cela, que ce soit précisément un homme d’État, et qu’il ait su prévenir notre mort à tous, en fixant ce bienheureux maximum qu’on n’a jamais connu en Suisse et qu’on vient d’abolir en Angleterre.

Mais il serait peut-être inconvenant de prolonger cette discussion pied à pied. Je me demande quelquefois comment il est possible que deux esprits arrivent, sur la même question, à des solutions si opposées. Est-ce l’intérêt personnel qui m’aveugle ? non, assurément. Je n’ai d’autres moyens d’existence qu’une terre, et cette terre ne produit que des céréales. Qu’on laisse entrer les céréales étrangères, et je ne crains pas que ma terre perde de sa valeur, je ne crains pas que mes bras restent oisifs. Non, je ne le crains pas, alors même que le blé étranger se vendrait, ainsi que vous le dites, relativement au nôtre, comme dix est à trente, alors même qu’il se donnerait pour rien ; car dans cette supposition extrême, ce que le peuple dépense aujourd’hui