Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/562

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de passer pour des niais, pour des dupes. Ils ont soin de publier bien haut le trafic qu’ils ont fait de leur vote, et on les verrait placarder leur propre ignominie à la porte des églises plutôt que de laisser mettre en doute leur déplorable habileté. S’il est encore quelques vertus qui survivent à ce grand naufrage, ce sont des vertus négatives. On ne croit à rien, on n’espère en rien, on se préserve de la contagion, on dit avec je ne sais quel poëte :

Une paisible indifférence
Est la plus sûre des vertus.

On laisse faire et voilà tout. En attendant, ministres, députés, candidats succombent sous le faix des promesses et des engagements. Et quel en est le résultat ? Le voici. Le gouvernement et la Chambre changent de rôles. « Voulez-vous me laisser disposer de tous les emplois ? » disent les députés. « Voulez-vous me laisser décider des lois et du budget ? » répondent les ministres. Et chacun abandonne l’office dont il est responsable pour celui qui ne le regarde pas. Je le demande : Est-ce là le gouvernement représentatif ?

Mais tout ne s’arrête pas là. Il y a autre chose en France que des ministres, des députés, des candidats, des journalistes et des électeurs. Il y a un public, il y a trente millions d’hommes qu’on s’accoutume à ne compter pour rien. Ils ne voient pas, direz-vous, et leur indifférence en est la preuve. Ah ! ne prenez pas confiance dans ce prétendu aveuglement. S’ils ne voient pas la cause du mal, ils en voient les effets, le budget grossir sans cesse, leurs droits et leurs titres foules aux pieds, et toutes les faveurs devenir le prix de marchés électoraux dont ils sont exclus. Plût à Dieu qu’ils apprissent à rattacher leurs souffrances à la vraie cause, car l’irritation s’amasse dans leur cœur ; ils cherchent ce qui pourra les affranchir, et malheur au pays