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LE LIBRE-ÉCHANGE

priété, telle qu’elle est encore enseignée dans nos écoles, est puisée dans le droit romain et féodal. Et, si je ne me trompe, la définition officielle de la propriété sur les bancs de l’école est encore le jus utendi et abutendi. Il n’est donc pas surprenant que beaucoup de juristes négligent de rechercher des rapports entre la propriété et la nature de l’homme, surtout en ce qui concerne la propriété littéraire.

Il arriva que, relativement au privilégié, le monopole avait tous les effets de la propriété. Déclarer que nul, sinon l’auteur, n’aurait la faculté d’imprimer le livre, c’était faire l’auteur propriétaire, sinon de droit, du moins de fait.

La révolution de 1789 devait renverser cet ordre de choses. C’est ce qui arriva. L’Assemblée constituante reconnut à chacun la faculté d’écrire et de faire imprimer ; mais elle crut avoir tout fait en reconnaissant le droit, et ne songea pas à stipuler des garanties en faveur de la propriété littéraire. Elle proclama un droit de l’homme et non une propriété. Elle détruisait ainsi cette sorte de garantie, qui, sous l’ancien régime, résultait incidemment du monopole. Aussi, pendant quatre ans, chacun put à son gré multiplier et vendre à son profit les copies des livres des auteurs vivants ; c’est comme si l’Assemblée constituante avait dit : « Cultiver la terre est un droit de l’homme, » et qu’en conséquence chacun eût été libre de s’emparer du champ de son voisin.

Par une coïncidence bien singulière, et qui prouve combien les mêmes causes produisent les mêmes effets, les choses s’étaient passées exactement de même en Angleterre. Là aussi le droit de travailler avait été d’émanation royale. Là aussi la faculté n’avait été d’abord qu’une concession, un privilége. Là aussi ces monopoles avaient été détruits et le droit au travail reconnu. Là aussi on avait cru tout faire en paralysant l’action royale ; et en reconnaissant que chacun aurait le droit d’écrire et d’imprimer, on avait omis de stipuler que l’œuvre appartenait à l’ouvrier. Là