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LE LIBRE-ÉCHANGE

Il me semble que la plus illogique de toutes les législations est celle qui régit chez nous la propriété littéraire. Elle lui donne un règne de vingt ans après la mort de l’auteur. Pourquoi pas quinze ? pourquoi pas soixante ? Sur quel principe a-t-on fixé un nombre arbitraire ? Sur ce malheureux principe que la loi crée la propriété, principe qui peut bouleverser le nombre.

Ce qui est juste est utile : c’est là un axiome dont l’économie politique a souvent occasion de reconnaître la justesse. Il trouve une application de plus dans la question. Lorsque la propriété littéraire n’a qu’une durée légale très-limitée, il arrive que la loi elle-même met toute l’énorme puissance de l’intérêt personnel du côté des œuvres éphémères, des romans futiles, des écrits qui flattent les passions du moment et répondent à la mode du jour. On cherche le débit dans le public actuel que la loi vous donne, et non dans le public futur dont elle vous prive. Pourquoi consumerait-on ses veilles à une œuvre durable, si l’on ne peut transmette à ses enfants qu’une épave ? Plante-t-on des chênes sur un sol communal dont on a obtenu la concession momentanée ? Un auteur serait puissamment encouragé à compléter, corriger, perfectionner son œuvre, s’il pouvait dire à son fils : « Il se peut que de mon vivant ce livre ne soit pas apprécié. Mais il se fera son public par sa valeur propre. C’est le chêne qui vous couvrira, vous et vos enfants, de son ombre.

Je sais, Monsieur, que ces idées paraissent bien mercantiles à beaucoup de gens. C’est la mode aujourd’hui de tout fonder sur le principe du désintéressement chez les autres. Si les déclamateurs voulaient descendre un peu au fond de leur conscience, peut-être ne seraient-ils pas si prompts à proscrire dans l’écrivain le soin de son avenir et de sa famille, ou le sentiment de l’intérêt, puisqu’il faut l’appeler par son nom. — Il y a quelque temps, je passai toute une