Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 3.djvu/441

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1 sh., je regarde ces 6 d. comme une taxe, et je la paie à regret, parce qu’elle n’entre pas au trésor public, et que dès lors je n’ai pas ma part dans l’emploi que le Trésor en aurait fait. Il me faudra lui payer une seconde taxe.

Le Président : Ainsi, vous pensez que tout droit protecteur opère comme une taxe sur la communauté ? — Oui, très-décidément.

M. Villiers : Pensez-vous qu’il imprime aussi une fausse direction au travail et aux capitaux ? — Oui, il les attire dans une industrie par un appui factice, qui à la fin peut être trompeur. Je me suis souvent étonné que des hommes d’État aient osé assumer sur eux la responsabilité d’une telle politique.

Le Président : Les droits protecteurs et les monopoles soumettent-ils les industries privilégiées à des fluctuations ? — Je pense qu’une industrie qui est arrachée par la protection à son cours naturel est plus exposée qu’une autre à de grandes fluctuations.

M. Tufnell : Ainsi, vous croyez que, dans aucune circonstance, il n’est au pouvoir des droits protecteurs de conférer à la communauté un avantage général et permanent ? — Je ne le crois pas ; s’ils opèrent en faveur de l’industrie qu’on veut favoriser, ils pèsent toujours sur la communauté ; cette industrie reste en face du danger de ne pouvoir se soutenir par sa propre force, et la protection peut un jour être impuissante à la maintenir. La question est de savoir si l’on veut servir la nation ou un intérêt individuel.

M. Villiers : Avez-vous reconnu par expérience qu’une protection sert de prétexte pour en établir d’autres ? — Je crois que cela a toujours été l’argument des propriétaires fonciers. Ils ont, dans un grand nombre d’occasions, considéré la protection accordée aux manufactures comme une raison d’en accorder aux produits du sol

Plusieurs intérêts ne se font-ils pas un argument, pour réclamer la protection, de ce que la pesanteur des taxes et la cherté des moyens d’existence les empêchent de soutenir la concurrence étrangère ? — J’ai entendu faire ce raisonnement ; et non-seulement je le regarde comme mal fondé, mais je crois, de plus, que la vérité est dans la proposition contraire. Un peuple chargé d’impôts ne peut suffire à donner des protections ; un individu obligé à de grandes dépenses ne saurait faire des largesses.

Ne devons-nous pas conclure de là qu’il faut maintenir la protection à chaque industrie ou la retirer à toutes ? — Oui, je pense que la considération des taxes entraîne une protection universelle, jusqu’à ce qu’en voulant affranchir tout le monde de la taxe, on finit par n’en affranchir personne.